Le trentenaire démarre ses journées à six heures du matin et les termine souvent tard dans la soirée. Une journée rythmée par les travaux de la ferme, 264 hectares de grandes cultures à Itteville, dans l’Essonne, une vie plus citadine et connectée avec sa start-up Monpotager.com (lire encadré ci-dessous), ainsi que le quotidien trépidant d’une famille avec trois enfants. « J’ai toujours su que je reviendrai sur la ferme mais la structure ne pouvait pas accueillir deux personnes. Je me suis installé quand mon père a pris sa retraite », explique Thierry Desforges.
Entre l’obtention de son bac scientifique, à la fin des années quatre-vingt-dix, et son installation au 1er janvier 2017, le jeune céréalier a multiplié les diplômes et les expériences professionnelles. BTS Acse, Tecomah puis l’Essec, des emplois de technico-commercial ou dans le marketing. Il a même « fait son champagne pendant presque dix ans », puis a vendu ses vignes pour s’installer. C’est à Lyon qu’il a pensé à son retour à la ferme. Il travaillait comme cadre supérieur chez Cheminova, une entreprise danoise du secteur de la chimie, spécialisée dans les produits phytosanitaires. « J’ai commencé comme chef produit et j’ai évolué jusqu’au poste de responsable marketing France et Benelux. L’évolution de carrière m’aurait conduit à prendre un poste à l’international. Avec mon épouse, nous avons fait un autre choix », se souvient-il.
Compétences techniques
Les multiples expériences de Thierry lui ont apporté des compétences techniques et surtout des facilités en gestion. « Je travaille en mode projet (1), ce qui est encore rare en agriculture », croit-il. Il s’est fixé deux objectifs sur cinq ans : amener le taux de matière organique à 2 % sur l’ensemble de l’exploitation, et diminuer la pression du ray-grass. Tout en prenant en compte son parcellaire éclaté en 89 îlots sur cinq communes, l’absence d’irrigation ou encore de stockage, Thierry essaye de diversifier le plus possible son assolement. Au blé, à l’orge et au colza, s’ajoutent les betteraves, le maïs, le chanvre ou encore le quinoa, ainsi que 13,5 ha de Maec (2). « J’essaye de donner un contexte technico-économique plus favorable aux marges en profitant des primes qu’il faudra compenser à l’avenir », tranche-t-il.
En plus de ces objectifs agronomiques, Thierry s’impose de maîtriser « l’écosystème de l’exploitation ». Grâce à une « visibilité précise des indicateurs », l’agriculteur estime être moins frileux face aux risques. Avec le chanvre et le quinoa, il espère avoir trouvé les débouchés de demain. « J’aime aller là où il n’y a personne », lance l’agriculteur.
Triple activité
Côté investissement, l’agrimanager assure être réfléchi. « Mes dépenses sont rationalisées pour avoir des répercussions immédiates. J’ai acheté un tracteur de tête à forte puissance pour décompacter : effet instantané. Même chose pour le nouveau pulvérisateur et l’épandeur à engrais. » Bien qu’en phase d’analyse des deux campagnes écoulées, il égrène déjà de nouveaux projets : ici un nouveau hangar, là-bas, peut-être, l’irrigation.
Jamais à court d’idée, Thierry Desforges est un boulimique de travail. « Je me suis toujours vu en double actif avec ma start-up et des responsabilités professionnelles », lâche-t-il. Pour lui, « travailler à l’extérieur est surtout une démarche intellectuelle ». Grand consommateur de réseaux sociaux, il veut défendre son métier contre « l’agribashing », aider les filières à se développer, trouver des solutions pour que des jeunes s’installent. Il est par ailleurs secrétaire général de la Ferme digitale (association qui regroupe les start-up innovantes en agriculture) et membre de la commission « innovation » de la chambre d’agriculture d’Île-de-France. « La représentation professionnelle m’intéresse. Je pourrais y apporter mes compétences pour avancer sur la digitalisation de l’agriculture et des OPA, argumente-t-il. L‘enjeu n’est plus de rattraper le train, mais de prendre un temps d’avance. »
(1) En management, la méthode du « projet » consiste à livrer un produit pour satisfaire un besoin dans des contraintes de coût (budget de ressources humaines et matérielles), de performances (qualité des résultats) et de délai. (2) Mesures agro-environnementales et climatiques.