Travailler avec son conjoint dans une exploitation, porter ensemble un projet dans les bons comme les mauvais moments, partager sa passion professionnelle, vivre les mêmes challenges… peuvent contribuer à souder le couple. À condition de prendre certaines précautions.

« Le couple doit avoir conscience que plusieurs sphères coexistent en permanence : la dimension conjugale, parentale et professionnelle. Si un conflit se joue du côté professionnel, il est important que ça ne rejaillisse pas sur le privé », observe Danièle Guilbaud, coach et médiatrice en Saône-et-Loire. Pour l’éviter, les conjoints identifieront s’ils se parlent comme associés, amoureux ou parents. Et ils apprendront à s’exprimer de manière professionnelle sur des sujets professionnels et à éviter la confusion et le chantage affectif : « Je ferai la traite quand tu arrêteras de fumer. »

Il est important que chacun soit reconnu pour ses compétences, quelle que soit l’histoire du couple. Trois cas de figure se distinguent : le conjoint rallie l’entreprise de l’autre, le binôme bâtit un projet commun ou chacun a déjà sa ferme.

« Une femme qui rejoint son mari déjà installé doit l’interroger : est-ce que je viens “chez toi” ? Ou est-ce notre affaire à tous les deux désormais ? C’est un questionnement délicat, mais essentiel », relève Danièle Guilbaud. Le couple se demandera ce que chacun attend de l’autre pour définir son identité professionnelle. « Tout dépend des personnalités : les leaders auront du mal à partager le pouvoir, alors que les suiveurs seront accommodants. à deux, on peut aussi admettre que l’un des conjoints soit leader dans la sphère professionnelle et l’autre suiveur. Et que l’inverse se produit dans la sphère familiale. Mais ça doit être dit et accepté », poursuit Danièle Guilbaud. En couple, la reconnaissance des compétences de chacun passe par celle liée à la famille.« Quantifions les tâches familiales dans le planning de la ferme, conseille Fanny Broucqsault, animatrice-formatrice à l’Afocg Rhône (1). Cela les met en valeur et évitera de reprocher à l’autre une disponibilité moins importante pour le travail. »

Un statut juridique adéquat

L’organisation du travail est un enjeu fort. « La répartition des tâches doit être claire pour que chacun ait sa zone de confort et de compétence, et qu’il soit reconnu par l’autre dans ses pôles de responsabilité. Cela diminue la charge mentale et évite de s’éparpiller. Le partage de l’information doit être discuté. Cela peut passer par un temps de réunion hebdomadaire ou la mise en place d’autres outils (agendas partagés, tableau de communication…), comme le feraient des associés ordinaires », indique Fanny Broucqsault.

Le statut juridique doit être en adéquation avec le projet humain. « Toutes les options sont possibles », souligne Virginie Rousselin, formatrice en relations humaines et animatrice à l’Atag (2), qui observe un « diktat de l’association » : « Un membre du couple peut avoir une envie plus familiale que professionnelle de rejoindre l’entreprise. Être associé lui mettrait une pression non désirée. Son conjoint attendra de lui qu’il partage les décisions, qu’il ait le même niveau d’autonomie, de responsabilités… Les motivations de chacun doivent être explicites : un simple soutien dans l’entreprise ou une égale implication. Le droit à l’erreur est moins vrai en couple. »

Quand la configuration de la famille évolue, avec le départ des enfants notamment, la question de la place de chacun se pose à nouveau. Un couple peut, à ce moment-là, redéfinir son projet pour les dix à quinze ans de carrière qui lui restent à accomplir.

Concilier vie privée et vie professionnelle est l’une des motivations fortes pour se lancer ensemble. « Ces agriculteurs ne veulent pas d’une vie où tout est dissocié. Au contraire, ils recherchent des temps de vie mêlés avec une unité de lieu, de temps et d’action. Ils reconnaissent qu’ils prennent moins de vacances qu’un salarié, mais ils voient davantage leurs enfants : au goûter, le mercredi… Leur métier leur donne aussi de la souplesse dans leur organisation », observe Virginie Rousselin. À condition que la charge de travail ne soit pas trop lourde et que le projet professionnel n’envahisse pas tout car « dans ce cas, on a tous les inconvénients ». Sans oublier de prendre soin de sa relation conjugale et de dégager des moments en amoureux…

Prendre le tempsde discuter

Faut-il cloisonner le professionnel du privé ? Pour Danièle Guilbaud, « il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises habitudes. Tout dépend du fonctionnement de chacun. Pour certains, il est insupportable de parler boulot lors du repas. Pour d’autres, ce n’est pas un problème. Bien sûr, il n’est pas propice de se quereller devant les enfants. » Pour la coach, l’important est de travailler sur la qualité de la relation : comment je m’exprime quand je m’adresse à l’autre ? Comment lui faire comprendre ce que je vis ? Comment mettre des mots sur mes émotions ? « Aborder un sujet délicat nécessite un temps d’introspection pour clarifier ses besoins. Cela permet de dire ce que l’on veut, plutôt que de manifester ce qu’on ne veut pas et qui nous met en colère », analyse Danièle Guilbaud. Si on détecte que le problème est conjugal et non pas professionnel, il faut s’orienter vers un conseiller matrimonial.

Nombreux sont les conjoints qui travaillent à l’extérieur et donnent un coup de main. « Il faut vérifier la clarté de ce choix », prévient Danièle Guilbaud. Autrement dit interroger le libre choix du compagnon : le vit-il bien ? Est-ce une vraie demande de l’exploitant ? Là encore, ne pas rester dans les non-dits.

Travailler en couple demande d’avoir « des personnalités qui s’entendent bien au travail, des motivations individuelles fortes, un projet commun, des règles d’organisation claires et une bonne communication », résume Virginie Rousselin. Pas si simple ! Des formations collectives ou des accompagnements individuels peuvent aider à relever cette gageure. Aurore Cœuru

 

(1) Agir pour la formation collective à la gestion.

(2) Association tarnaise pour le développementde l’agriculture de groupe.