Dans les situations à bas niveaux d’intrants, les mélanges céréales-protéagineux montrent de multiples avantages agronomiques. En premier lieu, le rendement d’une association céréale-légumineuse est supérieur au rendement moyen des cultures pures. Ce phénomène est lié à la complémentarité entre les espèces, qui vont exploiter différemment les ressources : la céréale ayant une croissance plus rapide que la légumineuse, elle va puiser rapidement l’azote disponible dans le sol, forçant la légumineuse à recourir à l’azote de l’air via la fixation symbiotique. Le taux de fixation de l’azote atmosphérique fixé par la légumineuse atteint 73 % dans ces conditions, contre 61 % en culture pure.

D’autre part, la quantité d’azote disponible pour les céréales ainsi que la présence des légumineuses contribuent à une augmentation du taux de protéines des céréales. Il faut noter que cette amélioration ne s’observe que quand la disponibilité en azote minéral est faible dans le sol. Autre avantage : en servant de tuteurs, les céréales limitent le risque de verse des légumineuses et sécurisent leur production. Dans les Hauts-de-France, « la quasi-totalité des pois protéagineux bio est produite en association pour cette raison », constate Gilles Salitot, conseiller à la chambre d’agriculture de l’Oise.

Sécuriser la production de protéagineux

Depuis trois ans, des essais de cultures associées ont été mis en place par les chambres d’agriculture dans les Hauts-de-France, en Bretagne, Pays de la Loire et Normandie. La demande est venue des agriculteurs, demandeurs de solutions techniques pour faire face à la difficulté de produire des protéagineux, victimes d’un salissement important à la récolte. « Au sein des exploitations bio, 10 à 15 % des cultures sont cultivées en association », estime Gilles Salitot. Les pois sont associés à de l’orge, du blé précoce ou du triticale, qui ont un effet couvrant contre les adventices, en plus de l’effet tuteur. Les pois sont semés à 80 % de leur densité normale, et les céréales à 30 %. « Le calcul des doses à semer oblige les agriculteurs à être plus pointus dans leur itinéraire technique », note Gilles Salitot. En 2015, les essais ont donné des rendements de 35-40 q/ha en pois, 30-35 q/ha en féverole.

Une résistance accrue aux maladies est aussi observée dans un certain nombre de situations, mais ce n’est pas systématique. « En 2016, année à forte pression maladie, les protéagineux associés s’en sont mieux sortis, du fait de leur densité plus faible qu’en pur », constate Gilles Salitot. Lors des journées de démonstration organisées par la chambre d’agriculture, la technique interpelle aussi bien les agriculteurs bio que les agriculteurs conventionnels. « Il y a une reconnaissance de la part des agriculteurs en conventionnels, qui cherchent des solutions techniques, notamment contre le salissement », remarque le conseiller. Grâce aux références acquises par le réseau des chambres d’agriculture, des repères techniques ont pu être édités afin d’aider les agriculteurs à construire l’itinéraire de leurs associations en fonction de l’objectif : sécuriser la production de protéagineux ou produire une céréale riche en protéines (voir infographie). Ces principes techniques sont un guide, mais ils doivent être adaptés en fonction du contexte pédoclimatique et des espèces à associer.

Objectif grains

« Construire un itinéraire technique précis pour les cultures associées est compliqué, car la production et la proportion des espèces à la récolte sont fortement dépendantes des conditions pédoclimatiques. Au moment où l’on sème, il est difficile de prédire quel sera le rendement des deux espèces », prévient Laurent Bedoussac, enseignant-chercheur à ENSFEA (1) et à l’UMR Agir de l’Inra de Toulouse. De façon générale, si l’on sème 50 % de céréales et 50 % de légumineuses, il résultera le plus souvent une proportion de céréales supérieure lors de la récolte, car ces dernières sont plus compétitives. Mais cela dépend de nombreux facteurs, et en premier lieu des variétés : ainsi le pois fourrager est très compétitif par rapport à un pois protéagineux. La fertilisation azotée est aussi déterminante dans le comportement de la céréale : plus le reliquat azoté sera élevé, plus la céréale prendra le dessus dans le mélange. « Dans le cas où l’on veut produire des protéagineux, il vaut mieux placer le mélange en fin de rotation », conseille Gilles Salitot.

Un tri drastique

Dans le Sud-Ouest, la coopérative Qualisol s’intéresse à la production de légumes secs et travaille avec l’UMR Agir afin d’améliorer la production de lentilles bio. Cette culture a une forte valeur ajoutée, mais elle est très sensible à la verse et aux bruches, ce qui engendre un rendement faible (souvent moins de 1 t/ha pour les essais réalisés chez les adhérents Qualisol). L’association avec du blé semé à très basse densité (75 grains/m²) permet de réduire la verse et d’obtenir un blé avec plus de 14 % de taux de protéine. Afin de valoriser les lentilles en alimentation humaine, le tri est drastique (nettoyeur-séparateur, trieur densimétrique, trieur optique), approchant un coût pouvant dépasser les 250 €/t. Mais avec un prix de vente qui peut atteindre les 2 500 €/t après tri pour certaines variétés, le problème du coût se pose moins qu’avec un blé à 400 €/t… En revanche, l’association blé-lentille ne règle pas le problème des bruches et, dans la région, certains lots sont bruchés à 60 %. « Une solution sera peut-être à trouver dans la sélection variétale, mais cela nécessite un gros travail de recherche préalable », estime Laurent Bedoussac.

Jouer sur les variétés, c’est aussi le défi qui se cache derrière les associations de cultures. « La meilleure association n’est pas l’association des meilleures variétés prises séparément », prévient le chercheur. Il ne suffit pas de choisir les meilleures variétés du catalogue, car il peut y avoir des phénomènes d’antagonismes liés à la compétition entre les plantes. En mélange, les variétés n’ont pas forcément le même comportement qu’en culture pure. Pour acquérir des connaissances sur le sujet et, plus globalement, sur les cultures associées, un projet européen de grande ampleur a vu le jour en mai 2017. Baptisé ReMIX (lire p. 46), ce projet vise à concevoir des systèmes de culture plus résilients et économes en intrants, en intégrant des cultures associées. « À terme (dans 3 ans), l’idée sera de mettre en place un portail internet qui permettra d’aider les conseillers et les agriculteurs à choisir les variétés et les conduites à mettre en œuvre en fonction de leurs objectifs et de leurs contextes pédoclimatiques. »

Moissonneuses adaptées

Des tests de réglages de moissonneuses seront également à l’essai en les couplant à des tests de tri. L’enjeu est important, car une bonne récolte permettrait de réduire le temps et le coût du triage après moisson. Mais l’affaire n’est pas simple, car ce qui est facile à trier, comme les mélanges de grosses et de petites graines, est difficile à récolter. Les essais permettront de trouver les meilleurs réglages des matériels et d’évaluer le pourcentage de pertes acceptable à la récolte pour optimiser le triage. Une solution à ce problème de tri serait de concevoir des moissonneuses avec un double battage adapté aux associations… Or, le marché des cultures associées est encore trop petit pour que les constructeurs investissent dans ce domaine et, de leur côté, les agriculteurs tardent à se lancer dans les cultures associées par manque de solutions techniques ! Nous revoilà face au problème de la poule et de l’œuf.

(1) École nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole (Haute-Garonne).