La valeur ajoutée, c’est ce qui reste quand on retire les consommations intermédiaires du chiffre d’affaires. Autrement dit, elle représente le gâteau que les salariés, les investisseurs et l’Administration doivent se partager à la fin d’un exercice comptable. Un gâteau qui, dans un secteur agricole plongé dans une concurrence mondiale accrue, tend souvent à se réduire.
À l’occasion d’un colloque organisé par l’Académie d’agriculture de France le 13 février, les représentants de l’industrie du sucre, des oléagineux ou même du porc sont tombés d’accord. Ce qu’il faut avant tout pour conserver la valeur ajoutée du côté des producteurs ? Des idées.
Jamais mieux servi que par soi-même
Baisse de la consommation d’huile et demande en tourteaux croissante : l’équation du colza semblait impossible à résoudre au début des années 2000. C’est cette contrainte qui amène alors les industriels à créer un nouveau débouché : le carburant issu du colza. Et si l’on en croit Michel Boucly, directeur général délégué du groupe Avril, le diester demeure, avant toute chose, une réussite française.
De gauche à droite : Michel Boucly et Caroline Zakine. © AAF/DR
« On a été les premiers producteurs de la planète à en produire et à montrer qu’on pouvait l’intégrer jusqu’à 10 % sans modifier les moteurs. » Un développement qui a demandé quinze ans de lobbying. Et le temps, justement, c’est ce dont la plupart des industriels, pressés par la concurrence et leurs financeurs, ne disposent pas. « Aucun industriel, confirme Michel Boucly, n’est capable d’avoir une vision à 15 ans en raisonnant uniquement économie et finances. »
D’autant plus que dix ans plus tard, face à l’engouement international pour le diester, les Indonésiens ont inondé le marché européen d’huile de palme. De même que les Argentins, qui ont subventionné les exportations d’huile de soja. « La chance, en France, rappelle Michel Boucly, c’est que cette industrie est aux mains des producteurs par leurs interprofessions. Et nous avons donc maintenu l’outil, malgré une perte de 150 millions d’euros sur trois ans. » L’investissement des agriculteurs dans la filière serait donc l’un des facteurs qui aurait permis de maintenir les surfaces et les taux d’incorporation.
Dernière idée en date, le groupe a développé le carburant Oleo 100, un produit entièrement issu des campagnes françaises, capable de se substituer au diesel. La cible ? Les flottes captives, celles des collectivités, et des sociétés de transport. « On estime qu’il y a un marché pour 250 000 t de colza de ce côté-là », prévoit Michel Boucly.
La sécurité, alliée indispensable de la créativité
Avoir une idée géniale ne fait cependant pas tout, comme le montre l’exemple de la filière sucrière. Le tournant énergétique chez les industriels de la betterave s’est fait peu après celui des oléagineux, grâce à un investissement d’un milliard d’euros. « On commence à peine à s’en sortir », confie Bruno Hot, président du Syndicat national des fabricants de sucre.
Bruno Hot (à gauche) à l’Académie d’agriculture ©AAF/DR
Ce retard à l’allumage serait dû à un soutien politique plutôt faible. « On a ramé avec cette opposition entre l’énergie et l’alimentaire. Mais le changement de ministre de la Transition écologique nous a donné un peu d’air. » M. de Rugy, en reconnaissant la place des carburants agricoles dans le mix énergétique, a ainsi contribué à faire de l’E10, le carburant contenant 10 % d’éthanol en volume, en 2018 la première essence de France. « À 2-3 % près, tout le parc est compatible avec le E10 », se réjouit Bruno Hot.
Faudrait-il alors abandonner le sucre pour produire exclusivement des carburants ? Pas si sûr. Selon Bruno Hot, opposer les rentabilités de l’éthanol et du sucre irait même contre les intérêts de la filière. « En associant les deux activités sur les sites industriels, on diminue évidemment les coûts de production. Réunir sucre et bioéthanol fait la force de l’économie sucrière française. » En matière industrielle, comme sur les exploitations, deux débouchés valent toujours mieux qu’un.
Retrouvez l’intégralité des tables-rondes de ce colloque sur la chaîne Youtube de l’Académie d’agriculture de France