C’est avec l’amour bien connu d’un Normand pour ses prairies que Pascal Ferey prend la parole à l’occasion du débat organisé par Agridées, ancienne Société des agriculteurs de France, ce mardi 13 novembre 2018 sur l’enjeu des protéines en agriculture. « L’herbe, lance Pascal Ferey avec enthousiasme, me va merveilleusement bien. »

Mais pour le président de la chambre de la Manche, installé avec un troupeau laitier sur 142 hectares au cœur du marais du Cotentin, un fourrage d’une aussi grande qualité se mérite. « L’herbe, déplore-t-il, est bien plus compliquée à gérer que le maïs. »

Les leviers méconnus de l’autonomie protéique

Pour atteindre leur potentiel, les systèmes herbagers ont besoin, selon Pascal Ferey, de configurations parcellaires particulières. « Dans le bocage, souligne-t-il, on a une taille limite de troupeau. On ne peut pas avoir 200 vaches qui pâturent comme dans les zones de plaines. » Un retour à l’herbe plus large des bovins supposerait un réaménagement foncier d’ampleur, afin d’éviter aux exploitants d’être forcés d’aller chercher leurs vaches trop loin.

Autre piste de travail pour favoriser les systèmes herbagers : la sélection variétale. Selon le président de la chambre d’agriculture de la Manche, les semenciers s’intéressent encore trop peu aux fourrages, préférant se tourner vers les grandes cultures. « Quand va-t-on enfin avoir des protéagineux et des légumineuses dignes de ce nom, dénonce-t-il, qui permettront enfin renforcer l’autonomie de la France ? »

De l’exigence des monogastriques

« Pour nous, explique Paul Auffray, éleveur porcin et président de la Fédération nationale porcine, l’autonomie alimentaire est difficile à atteindre. » Paul Auffray a bien essayé de produire plus de protéines sur son exploitation, mais l’expérience s’est avérée décevante. « J’ai semé du pois et de la féverole, confie-t-il, et c’était la cata. »

L’élevage porcin serait désormais bien moins dépendant du soja étranger que dans les années 1980 et 1990. « L’arrivée des tourteaux de colza, rappelle Paul Auffray, a été très importante pour la filière. » Une source de protéines françaises qui pourrait disparaître si les biocarburants sont remis en cause dans notre pays.

Impossible, en revanche, de se passer de soja, pour les truies et les porcelets. « En début de croissance, souligne Paul Auffray, le soja reste une matière première de choix. Le pois, quant à lui, est à proscrire. » Chaque élevage et chaque stade physiologique ont leurs besoins, qui nécessitent parfois des sources de protéines bien spécifiques, ou des ajouts d’acides aminés de synthèse.

L’autonomie, mais à quel prix

« L’autonomie protéique est un idéal, tempère Pascal Ferey, mais il ne faut pas tomber dans l’excès. » Paul Auffray, de son côté, souhaite que cette autonomie ne soit pas recherchée au détriment de la performance économique, et invite à la prudence. « Vouloir retourner à une autarcie dépassée, lance-t-il, c’est aussi prendre le risque d’endommager nos territoires. »

Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique adjoint de l’Inra, conclut le débat en évoquant la plasticité des rations animales, et les pistes de valorisation de coproduits industriels. « Les animaux sont d’abord des recycleurs, explique-t-il. Comme nous l’a montré l’exemple du colza, si vous diversifiez les cultures, les animaux les mangeront. »

Ivan Logvenoff