L’agriculture française serait-elle en train de devenir une affaire de firmes ? Souvent indécelables dans les statistiques officielles, des exploitations « aux allures de firme » se sont bel et bien implantées dans le paysage français, révèle le travail de trois chercheurs. Dans leur ouvrage « Le nouveau capitalisme agricole. De la ferme à la firme. », publié aux éditions Sciences Po, François Purseigle (1), Geneviève Nguyen (2) et Pierre Blanc (3) ont décidé d’« ouvrir la boîte noire » en allant rencontrer ces nouvelles formes d’agriculture.
C’est parce que la firme représente la « forme la plus épurée de l’entreprise » que les chercheurs ont choisi ce terme, volontairement provocateur, pour décrire le processus de « banalisation, tertiarisation et rationalisation » de la production agricole.
L’agriculture se rapproche d’autres secteurs
« Le secteur agricole reste peut-être encore singulier, mais il se rapproche d’autres secteurs, comme le secteur commercial ou industriel », note François Purseigle, venu débattre autour de l’ouvrage lors d’une conférence organisée par Saf agr’iDées à paris, le 21 novembre.
Pas question, toutefois, d’opposer agriculture familiale et agriculture de firme : « Le capitalisme peut advenir dans les contours de l’exploitation familiale », souligne le chercheur. De fait, une exploitation dont le capital reste détenu par des membres apparentés peut avoir épousé certaines caractéristiques de la firme : multiplicité des sites de production, recours important au travail salarié, poids des investissements, rationalisation des processus de gestion (notamment de la main-d’œuvre)…
Une firme n’est pas forcément une mégaferme
Autres idées reçues auxquelles les chercheurs tordent le cou : une firme n’est pas forcément une mégaferme et ne commercialise pas forcément qu’en circuit long. Il existe notamment des dispositifs complexes de sous-traitance et délégation de services mettant en jeu des exploitations de taille moyenne, faisant intervenir une société de gestion et un pool d’ETA, explique François Purseigle, évoquant des « exploitations qui apparaissent très familiales dans l’appareil statistique, mais qui sont pilotées par des investisseurs ».
Pour leur approche statistique, les chercheurs ont épluché les données du RGA (recensement général agricole) en les passant au crible de critères considérés comme caractéristiques des « exploitations aux allures de firmes » : le poids de la main-d’œuvre salariée, la part d’associés non-exploitants, les formes sociétaires de type SCEA, l’importance des activités de diversification via des sociétés affiliées (transformation, commercialisation, production d’énergie, etc.)
Issues de la lente transformation de l’exploitation familiale
« Les exploitations aux allures de firme représenteraient 10 % environ des exploitations françaises », indique Geneviève Nguyen, tout en affirmant que ce chiffre est certainement largement sous-évalué. Motif : « Même si un investisseur achète 99 % des parts de 50 sociétés, celles-ci apparaîtront comme 50 exploitations agricoles distinctes, tant que le chef d’exploitation conserve au moins 1 % des parts de sa société… »
Les firmes identifiées sont particulièrement présentes dans le pourtour méditerranéen, à l’est du Bassin parisien ou encore en Gironde. « Certains départements peuvent compter 800 à 900 structures de ce type, ce n’est pas négligeable en termes de poids sur le marché ! » souligne François Purseigle.
Quand et comment s’est opéré ce basculement entre l’exploitation familiale « modèle » et la « firme » ? Il n’y a pas de basculement : « Les firmes, en France, ne naissent pas ex nihilo, elles sont pour la plupart issues de la lente transformation de l’exploitation familiale », observe Geneviève Nguyen. Et au vu des statistiques, sur 2000-2010, les exploitations « aux allures de firme » sont les seules dont la proportion ne décroît pas…