Les sociétés agricoles seront condamnées à la liquidation

La Cour de cassation a rendu le 29 novembre 2017(1) un arrêt aux conséquences catastrophiques pour les entreprises agricoles en difficultés. Il exclut les sociétés, y compris les EARL unipersonnelles, du bénéfice d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire supérieur à dix ans. La durée moyenne des plans des 36 sociétés que notre cabinet a accompagnées ces dix dernières années était de treize ans. En raison de la dégradation de la conjoncture depuis 2015, certains plans ont même dû être rallongés d’une année supplémentaire. En interdisant de telles solutions, l’arrêt condamne les sociétés en difficulté à la liquidation. Sa portée est d’autant plus large que les entreprises agricoles sous forme sociétaire participent à la majeure partie de l’activité agricole. Selon la dernière étude d’Agreste sur la structure des exploitations, les sociétés représentaient, en 2013, 48 % des structures et exploitaient 65 % de la surface agricole utile (SAU) nationale. Depuis, cette tendance sociétaire s’est même probablement accentuée.

Une proposition de réforme insuffisamment relayée

En 2013, le gouvernement avait entrepris une importante réforme des procédures de traitement des difficultés des entreprises tous secteurs confondus. Des spécialistes avaient proposé l’institution d’une exception pour le traitement des difficultés des seules entreprises agricoles. Insuffisamment relayée par la profession (seul le réseau Solidarité paysans avait soutenu les projets d’ordonnance auprès de la Chancellerie), elle n’avait pas été retenue. La qualité d’agriculteur au sens des procédures collectives est restée réservée aux personnes physiques !

L’histoire semble se répéter aujourd’hui. Le 24 octobre 2017, le Sénat a adopté une proposition de loi visant à réformer les procédures de traitement des difficultés des entreprises. Elle prévoit la création d’un tribunal des affaires économiques. Si le Registre des actifs agricoles y est cité, c’est uniquement pour définir les personnes qui relèveront de ces nouvelles juridictions. À aucun moment le texte ne vise une modification des articles relatifs aux spécificités procédurales pour les entreprises agricoles.

Faire valoir l’exception agricole

La Cour de cassation, en appliquant le délai de droit commun de 10 ans aux sociétés agricoles, a choisi d’écarter les spécificités de ces dernières. Pourtant, reconnaître une exception n’est pas impossible. En droit de la concurrence, le Parlement européen a adopté, mi-décembre, une exception agricole dans le règlement dit « Omnibus ». Pourquoi cette exception ne pourrait pas être également reconnue dans le traitement des entreprises agricoles en difficultés ?

La profession doit se mobiliser

Pour y parvenir, la profession doit se mobiliser. Elle doit agir pour inciter le législateur à créer les adaptations procédurales nécessaires au traitement efficace des difficultés des entreprises agricoles. Si rien n’est fait, l’application du droit commun aux sociétés agricoles conduira probablement à la disparition de nombreuses fermes. Les élevages en premier lieu.

Propos recueillis par Alexis Marcotte

(1) Arrêt n° 16-21032 du 29 novembre 2017 de la chambre commerciale.