Des bêtes vendues vivantes
La production de coquillages ressemble à de la cueillette aménagée. Les moules de corde, dont je suis un petit producteur avec 30 tonnes par an, sont élevées en mer sur un cycle de production d’un an et récoltées en été.
Comme les éleveurs, nous produisons des animaux qui seront vendus à des consommateurs. Mais il y a une différence majeure : les coquillages sont vendus vivants. Pour cela, ils doivent évoluer dans un milieu naturel irréprochable. Or depuis 2006, on observe des mortalités massives en huîtres. Depuis 2014, les moules sont aussi touchées. Imaginez que vous entrez dans votre pré et voyez vos bêtes mourir de manger l’herbe ! Et nous ne pouvons pas changer de parcelle. Nous avons besoin d’une protection équivalente à celle des captages d’eau potable.
Calendrier lunaire
Paysans de la mer et de la terre peuvent vivre sur le même territoire sans jamais se croiser ! Il faut dire que nous n’avons pas le même calendrier : solaire pour les gens de la terre, lunaire pour ceux de la mer. Ce décalage nous tient à l’écart. Quand la DDT organise une réunion à 14 heures, alors que c’est basse mer, il n’y a aucun paysan de la mer, même si le sujet est crucial !
Nous avons organisé, en 2016, cinq rencontres entre paysans de la terre et de la mer (1) dans des départements littoraux. Elles ont rassemblé jusqu’à cinquante personnes. Dans le Morbihan, cela a abouti à une charte de bonnes pratiques agricoles et conchylicoles.
Pressions multiples
Nous ne pouvons pas intervenir sur notre milieu de production, alors que celui-ci, au débouché de toutes les eaux de la terre, subit beaucoup de pressions, et pas seulement de l’agriculture. Il nous faut de l’eau en quantité, en qualité et en régularité suffisantes. Les prélèvements pour alimenter des réserves de substitution, par exemple, nous posent problème. Dans certaines zones, le drainage des marais doux a été une catastrophe : ils ne jouent plus leur rôle de zone tampon et de lagunage qui épurait l’eau. Celle-ci arrive maintenant chargée de produits toxiques, suspectés d’entraîner des aberrations de croissance. On teste l’impact des phytos sur la santé humaine, mais pas sur les coquillages !
Puits de carbone
En plus des questions de pollution, nous observons déjà concrètement le dérèglement climatique. De nouvelles espèces prédatrices de poissons arrivent, les tempêtes se multiplient. L’acidification du milieu marin commence aussi à se mesurer. Or, les coquillages sont des puits de carbone. S’ils disparaissent, le réchauffement va s’emballer ! Les coquillages, en se nourrissant de phytoplancton, piègent aussi de l’azote, ce qui limite la prolifération des algues vertes. Mais le déséquilibre azote-phosphore entraîne la prolifération de phytoplancton phytotoxique, qui pose des problèmes de santé publique et rend nos coquillages impropres à la vente.
Nous sommes comme des sentinelles qui donnent l’alerte, car nous sommes les premiers touchés. Mais tout le monde est concerné : la mer n’en peut plus !
(1) Organisés par la Confédération paysanne, dont Jean-François Périgné est élu au bureau national. Il n’existe pas de syndicat conchylicole.