Joie sur les terrains de foot, grise mine autour de l’Assemblée nationale et du Sénat. « Un tacle de plus pour les paysans français », voilà comment Jeunes Agriculteurs (JA) considère l’échec de la commission mixte paritaire (CMP) qui s’est réunie le 10 juillet, sur le projet de loi « Agriculture et Alimentation » .

Au lendemain de l’annonce, chacun se renvoie la balle des responsabilités. Le gouvernement regrette notamment les contre-pieds des sénateurs sur le dossier des phytos, qui justifient à eux seuls, selon lui, le désaccord acté en CMP. Mais une autre version est avancée.

Les indicateurs de prix en question

Pour la Fédération nationale bovine (FNB), « cet échec repose essentiellement, sur une disposition relative à la construction des prix agricoles pourtant adoptée de manière parfaitement conforme à l’Assemblée nationale et au Sénat ».

Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques au Sénat, confirme et précise : « Afin d’inverser la logique de construction des prix des produits agricoles, l’Assemblée nationale et le Sénat avaient permis, contre l’avis du gouvernement, que l’Observatoire des prix et des marges ou FranceAgriMer proposent ou valident les indicateurs pour déterminer les prix agricoles, uniquement dans le cas où les interprofessions ne se mettent pas d’accord. Pour que ces règles s’appliquent dès les prochaines négociations commerciales, la loi devait aboutir avant la fin du mois de juillet. Il était donc indispensable qu’un accord soit trouvé au cours de la commission mixte paritaire. »

Problème : fort du soutien de l’Autorité de la concurrence, le gouvernement refuse encore et toujours de voir l’observatoire jouer un tel rôle. Il préférerait laisser les interprofessions seules face à leurs responsabilités en la matière. D’où les crispations. « Le débat sera donc rouvert inutilement à la rentrée parlementaire avec le risque d’un affaiblissement de l’article 1. Cela conduit d’ores et déjà à un retard dans la mise en œuvre de la loi », s’énerve Sophie Primas.

Comment ne pas imaginer un stratagème pour rouvrir l’ensemble des débats, en particulier sur cette question délicate des indicateurs, sachant que la mesure avait été adoptée contre l’avis du rapporteur et du gouvernement ?

Jeunes Agriculteurs, communiqué du 11 juillet 2018

« Faux semblants »

« Où est passé le bon sens paysan, se demande la FNSEA ? Sur la question centrale des indicateurs de coûts de production, rappelons qu’il s’agit juste de mettre à la disposition des producteurs une référence neutre et indiscutable dans leurs relations commerciales avec l’aval de la filière. Sans ce garde-fou efficient, que peuvent peser les agriculteurs face à quatre centrales d’achat qui concentrent à elles seules 94 % du marché alimentaire national ? Les députés de la majorité, membres de la CMP, ont délibérément ignoré cette réalité. Pire, c’est sur cette disposition qu’ils ont fait capoter la CMP, alors même qu’elle avait été votée conforme entre les deux Assemblées ! »

« Le gouvernement utilise à nouveau le bras de fer en bloquant toutes propositions venant du Sénat, regrette de son côté le Modef. En faisant ce choix, les paysans continueront à avoir des revenus très en dessous du seuil de pauvreté et le gouvernement en portera la responsabilité. » Dans le même élan, JA dénonce « les faux-semblants qui conduisent les élus de la majorité à suivre les indications du gouvernement malgré des accords actés dans les deux chambres ». Le syndicat s’interroge : « Comment ne pas imaginer un stratagème pour rouvrir l’ensemble des débats, en particulier sur cette question délicate des indicateurs, sachant que la mesure avait été adoptée contre l’avis du rapporteur et du gouvernement ? Comment penser que la démocratie est respectée après un tel désaveu ? »

Embouteillage législatif en vue

Sur les bancs du Palais-Bourbon, les élus s’inquiètent surtout de l’embouteillage législatif que l’échec de la CMP fait courir sur les mois à venir. Le projet de loi devant revenir en commission la semaine prochaine, puis en séances publiques à partir du 4 septembre, le risque de télescopage est grand avec d’autres textes d’ampleur en cours d’élaboration. Des députés craignent de ne pas parvenir à tout suivre. D’où la plainte de Jean-Christophe Lagarde (UDI-Agir), lors d’un rappel au règlement, mardi 10 juillet 2018 :

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Alain Cardinaux