Comment s’est initié le dialogue sur la fiscalité agricole avec Bercy ?

Julien Forget : Le gouvernement a une volonté affichée et affirmée d’inscrire un volet agricole fort dans la prochaine loi de finances. C’est dans ce cadre qu’AgirAgri, notre groupement d’experts-comptables et d’avocats, a souhaité formuler ses propositions auprès de Bercy. Notre objectif est de transmettre notre expertise par rapport aux remontées de terrain ou aux problématiques que nous rencontrons dans nos cabinets.

Le gouvernement a clairement annoncé qu’il souhaitait réformer la déduction pour aléas (DPA). Qu’en pensez-vous ?

Nous partageons le constat que la DPA n’a jamais correctement fonctionné. Elle est trop compliquée. Beaucoup d’agriculteurs, voire certains cabinets comptables, refusent d’utiliser ce dispositif. Pourtant, nous estimons qu’il faut maintenir l’obligation de placer en épargne physique au moins 50 % de la déduction. Cela peut apparaître comme un élément bloquant, mais la finalité est de pousser les entreprises à se constituer des réserves d’autofinancement pour pouvoir affronter diverses crises, que ce soit des aléas climatiques ou des aléas économiques.

Quelles sont les différences de votre proposition avec l’actuel mécanisme de la DPA ?

Notre texte prévoit que la déduction puisse être utilisée sans conditions particulières, dans un délai de 10 ans. Notre dispositif prévoit des plafonds. Au-delà d’un montant de déduction initial de 20 000 €, les exploitants auraient la possibilité de déduire un montant maximum de 30 % du résultat d’exploitation supérieur à 20 000 €.

Notre texte prévoit que la déduction se fasse sous la forme d’une provision en comptabilité, alors que la DPA actuelle est une déduction réalisée directement sur la liasse fiscale. L’intérêt est pédagogique : montrer aux interlocuteurs tiers qu’il y a constitution de fonds propres. La déduction comptable est visible par toute personne qui consulte un bilan et notamment les banquiers.

Quelle solution envisagez-vous pour faciliter la diversification des activités en agriculture ?

Nous proposons de transposer le mécanisme qui s’applique aux entreprises qui relèvent des BIC (1) ou des BNC (2) à celles qui relèvent du BA (3). Pour une entreprise qui réalise une activité agricole, nous souhaitons que toutes les activités BIC ou BNC, ayant un lien économique, matériel ou géographique avec l’activité principale, soient prises en compte dans le BA sans considération de seuil. La seule contrainte serait que l’activité agricole reste prépondérante.

Quelle est votre proposition pour rendre l’impôt sur les sociétés plus attractif ?

Aujourd’hui, on ne comprend pas pourquoi certaines sociétés à l’impôt sur le revenu (IR) ont la possibilité d’opter pour l’impôt sur les sociétés (IS), sans pouvoir revenir en arrière si l’entreprise évolue ou s’il y a un avantage pour les associés. Notre proposition est de faire confiance au chef d’entreprise, et de lui laisser la possibilité de déterminer quel régime d’imposition correspond le mieux à son activité. L’option à l’IS pourrait être faite pour une durée minimale de 5 ans ou 10 ans.

Vous souhaitez aller plus loin en offrant davantage de marge de manœuvre aux chefs d’entreprise. De quelle manière ?

Aujourd’hui, la forme de la société détermine mécaniquement si elle sera à l’IR ou à l’IS, ainsi que le statut social du gérant, salarié ou non salarié. Cela sans que l’on ait forcément de véritable explication. Nous proposons que le chef d’entreprise détermine lui-même s’il est à l’IR ou l’IS et s’il est non salarié ou salarié, et cela pour une durée déterminée. Il pourrait en cours de vie sociale changer ses options. C’est pour l’instant un peu utopique, mais nous l’avons formulé auprès de Bercy.

Vous évoquez aussi la création d’une société professionnelle non réglementée…

C’est une proposition intermédiaire. Nous proposons de créer une nouvelle forme de société que l’on appellerait société professionnelle non réglementée. L’avantage, serait qu’elle n’aurait ni un caractère civil ni un caractère commercial, et donc pourrait regrouper aussi bien des activités civiles que commerciales. Les agriculteurs sont souvent en SCEA, en EARL, et dans la pratique, ils réalisent parfois des travaux agricoles ou du déneigement… Ils sont en porte-à-faux avec les sociétés de forme civile, ce qui n’arriverait pas avec une société professionnelle non réglementée.

Que proposez-vous pour faciliter la transmission des exploitations ?

Nous sommes partis du dispositif actuel d’exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit, pour baux à long terme. Aujourd’hui, l’exonération est de 75 % jusqu’à 101 897 € et 50 % au-delà. Notre proposition est une exonération totale des droits de mutation, à titre gratuit mais sous conditions. L’un des bénéficiaires de la transmission (soit un des donataires ou un des héritiers) doit s’engager à exercer sur les biens en question une activité agricole professionnelle principale pendant au moins 10 ans. L’exonération serait de 100 %, mais si demain Bercy valide un taux de 83 %, pour faire le parallèle avec le pacte Dutreil, ce serait déjà une bonne chose.

Vous proposez également à nouveau de mettre en place une TVA sociale. Pour quelles raisons ?

Ce serait une vraie bonne mesure. L’idée de la TVA sociale est de remplacer un certain nombre de cotisations salariales, par une augmentation de la TVA. En contrepartie, il y a des reversements de droits pour les salariés. Cela permet notamment que les entreprises étrangères, lorsqu’elles vendent leurs produits en France, participent aussi indirectement au financement de la protection sociale et donc de remettre à un certain niveau d’égalité le coût du travail des entreprises françaises.

D’après vous, parmi vos propositions, lesquelles sont susceptibles d’être retenues par Bercy ?

Bercy nous a laissé entendre que nous ne sommes pas éloignés de la proposition finale pour la réforme de la DPA.

Propos recueillis par Marie Salset

(1) Bénéfices industriels et commerciaux.

(2) Bénéfices non commerciaux.

(3) Bénéfice agricole.