« Depuis quelques années, la prise en compte de critères environnementaux et sociaux intéresse les partenaires des exploitations, qu’ils soient pouvoirs publics, banques, citoyens ou acheteurs. Pour cette raison, je pense que d’ici à cinq ou dix ans, nous intégrerons ces notions dans les comptabilités des exploitations agricoles pour rendre une image fidèle de leur performance globale. Et ce serait positif.
En effet, aujourd’hui, un agriculteur qui a développé une clientèle, fidélisé des salariés ou préservé l’environnement, ne peut pas faire apparaître ces valeurs immatérielles dans son bilan. Alors que si la comptabilité intégrait ces notions, elles seraient non seulement valorisées lors d’une reprise, mais aussi pendant l’activité. Et un bilan plus nourri est un atout auprès du banquier !
Les capitaux de l’entreprise
Dans un bilan comptable, le passif renseigne sur les engagements de l’entreprise envers ses apporteurs de capitaux (capitaux propres des associés ou de l’exploitant, emprunts). L’actif indique la façon dont les fonds sont employés (immobilisations, cheptel, etc.). De même, pour l’environnement, l’entreprise reconnaîtrait désormais que le sol, l’eau, la biodiversité sont des capitaux apportés, qu’elle va utiliser et qu’elle s’engage à préserver.
Ces capitaux seront donc portés au passif du bilan où ils seront évalués à hauteur du coût des actions à mener pour leur préservation à moyen terme. En contrepartie, l’actif indiquera la façon dont ces avances sont employées par l’entreprise.
Chiffrer la préservation
Concrètement, prenons l’exemple de la biodiversité. Si l’activité sur les surfaces cultivées ne la maintient pas, l’implantation d’une haie peut être une action pour la restaurer. Le coût de plantation de la haie et de son entretien durable sur dix ans reflétera l’engagement de préservation et sera porté au passif. Et les actions de mise en place effective de la haie seront portées à l’actif. D’année en année, on va suivre si l’engagement est tenu, par l’évolution de l’équilibre entre l’actif et le passif. La qualité du bilan de l’entreprise sera ainsi renforcée par les engagements environnementaux pris et par la persévérance à les tenir.
Jusqu’ici, seuls les attendus économiques guidaient les choix de l’agriculteur. Bientôt, il devra aussi décider en fonction des attendus environnementaux et humains. Ces coûts apparaîtront en outre au compte de résultat. La performance globale affichera ainsi son coût complet, et positionnera les négociations de prix des produits et services à leur juste niveau.
Indicateurs standardisés
La fixation d’objectifs de durabilité environnementale et sociale déterminera les engagements que l’exploitation devra prendre. Il s’agira de les évaluer comptablement à partir de méthodes reproductibles, standardisées et fiables. Au Cerfrance, nous travaillons avec des indicateurs déjà utilisés dans des diagnostics (tels l’IFT, le label bas carbone, etc.). Pour les enjeux humains, la démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises) est une bonne base.
Nous aurons ainsi une comptabilité en triple capital. Le bilan et le compte de résultat montreront clairement comment l’entreprise a préservé ses ressources financières et tenu ses engagements environnementaux et sociaux. Peut-être y aura-t-il une fiscalité associée ? Tout est à inventer. »