C’est une scène de moisson ordinaire en Champagne berrichonne. Au volant de son pick-up, l’entrepreneur de travaux agricoles fait en permanence la tournée de ses machines pour en ajuster les réglages. Impossible de confier cette tâche aux chauffeurs, ce sont d’anciens conducteurs de poids lourds ou des militaires en reconversion, champions en conduite d’engins mais peu rompus à l’agronomie et au réglage des machines.

Révolution discrète

Cette situation n’est pas spécifique au Berry. Partout en France, entrepreneurs, Cuma et agriculteurs peinent à recruter de la main-d’œuvre qualifiée, capable d’entretenir, régler et conduire des matériels de plus en plus sophistiqués. Gérard Napias, président de la Fédération des entrepreneurs de territoires, tire régulièrement la sonnette d’alarme. « Le schéma classique du monde agricole, avec le fils aîné qui reprend la ferme et le reste de la fratrie qui devient salarié chez un exploitant ou un entrepreneur, n’a plus court aujourd’hui. Mais il est difficile de retrouver les compétences d’un chauffeur qui a grandi au volant d’un tracteur chez un salarié non issu du milieu agricole », déplore l’entrepreneur. Avec l’arrivée de machines toujours plus high-tech, l’agriculture n’est plus une solution de repli pour les chercheurs d’emploi peu qualifiés.

Selon Thomas Rademacher, enseignant en ingénierie agricole à l’université de sciences appliquées de Bingen, en Allemagne, la réponse à cette pénurie de main-d’œuvre performante est la technologie. Mais ce spécialiste prévient : « Il y a beaucoup de fantasmes autour de la robotisation. Certains agriculteurs et entrepreneurs s’imaginent déjà qu’ils vont être remplacés par la version agricole de Terminator. Mais on est encore très loin de ça. Tout d’abord, parce que la plupart des solutions robotisées sont encore expérimentales. Ensuite, car le coût de ces outils n’est pas en adéquation avec la réalité économique des exploitations. Quoiqu’il en soit, la réglementation ne permet pas, pour le moment, de faire évoluer des robots en plein champ. En revanche, une révolution technologique majeure, mais très discrète, se déroule actuellement dans les cabines des automoteurs. Il suffit d’étudier le palmarès de l’innovation du prochain Agritechnica pour s’en rendre compte. »

Automatisertous les réglages

« Bien entendu tous ces systèmes d’assistance à la conduite et aux réglages sont avant tout présentés comme des solutions d’optimisation du fonctionnement des machines, ce qu’ils font aussi, précise Heinz-Günter Gerighausen, conseiller machinisme indépendant et membre du jury d’Agritechnica. Mais la vocation première, c’est de pallier le manque de formation et de connaissances du chauffeur. »

L’exemple le plus frappant est celui des moissonneuses-batteuses. Claas a proposé la première solution d’assistance avec le Cemos Automatic, qui règle le batteur en fonction des conditions. Depuis, le constructeur allemand a déployé cette idée sur l’ensemble des organes de la machine, y compris le broyeur. Ainsi équipé, même un complet novice peut réaliser une moisson correcte. Les autres constructeurs se sont à leur tour engouffrés dans cette brèche avec leurs propres créations de réglage assisté. John Deere s’attaque également à la vitesse d’avancement en fonction de la densité de la récolte.

Surveillance accrue

Après la moisson, Claas s’intéresse à l’ensileuse, une machine traditionnellement réservée aux chauffeurs confirmés, avec un Cemos pour ajuster les réglages lors des variations de flux. Plus complexes encore à conduire et à régler, les arracheuses de pommes de terre et de betteraves sont aussi caractérisées par le grand nombre de caméras disposées sur tous les organes stratégiques. Dans le cadre d’Agritechnica, Grimme et Ropa présenteront des solutions de diffusion des images de ces caméras sur une tablette et un PC situés à l’extérieur de la cabine. Un outil de plus dans les mains de l’entrepreneur et de l’exploitant, qui disposent déjà de la télématique pour assister le chauffeur.

Attentionà la dépendance

Ces solutions d’assistance sur les machines de récolte répondent à une demande récurrente des exploitants. Mais d’autres innovations poussent l’assistance encore plus loin. Du jalonnage par GPS jusqu’au réglage automatique de la profondeur de l’outil en fonction des conditions du sol, certaines solutions transforment le chauffeur en « tourne volant ». Ce dernier n’est là que pour faire quelques manœuvres et stopper le tracteur en cas d’urgence.

Cette dépendance à la technologie commence à inquiéter du côté des constructeurs et des concessionnaires. « Aujourd’hui, certains chauffeurs considèrent que si le guidage par GPS est en panne, il n’est plus possible de travailler avec le tracteur », remarque Thierry Panadero, vice-président de Case IH Europe. Une situation qui va s’amplifier avec la généralisation des solutions d’aide à la conduite et pose déjà un problème aux réparateurs. En effet, selon Pierre Prim, président du Sedima, le syndicat des distributeurs, « les concessionnaires ont, eux aussi, beaucoup de mal à trouver des salariés qualifiés, notamment sur les nouvelles technologies ».

L’équation à résoudre dans les années à venir sera sûrement la suivante : Qui sera là pour programmer et dépanner s’il n’y a plus de cerveau en cabine, ni dans l’atelier ? Corinne Le Gall