«Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, cent fois sur le métier remettez votre ouvrage. » L’obligation d’homologuer le matériel agricole n’existait pas encore au XVIIe siècle, mais ces vers de Nicolas Boileau résument bien la situation actuelle des constructeurs. Car toutes les homologations de leurs machines réalisées avant le 1er janvier 2019 sont caduques et les matériels neufs concernés ne pourront plus être vendus après le 1er janvier 2020. Les machines déjà présentes sur une exploitation ne sont pas concernées par cette nouvelle disposition.

Compliqué pour les outils

En cause, l’arrêté ministériel du 19 décembre 2016, qui redéfinit les dispositions applicables aux réceptions nationales. Il reprend notamment les dispositions du règlement européen 167/2013 « Mother Regulation » relatif aux tracteurs, en l’appliquant aux remorques ainsi qu’aux outils traînés et semi-portés.

Concrètement, il est nécessaire de repasser « aux Mines » l’ensemble des matériels amenés à circuler sur la route, même s’ils sont au catalogue depuis dix ans. « C’est d’ailleurs là que le bât blesse », insiste René Autellet. Cet ingénieur conseil en machinisme et spécialiste des dossiers d’homologation tente d’alerter les constructeurs depuis de nombreux mois sur l’urgence de trouver des solutions face à cet arrêté. « La nécessité de réhomologuer l’ensemble de la gamme n’est pas trop pénalisante pour les fabricants d’automoteurs, qui renouvellent leur offre fréquemment à la faveur de l’évolution des normes antipollution sur les moteurs, précise l’ingénieur. Mais pour les outils de fenaison, semis et travail du sol, qui sont déclinés dans de nombreuses largeurs et versions et restent parfois plus de dix ans au catalogue, la tâche s’avère très compliquée. D’autant plus que les constructeurs concernés viennent de passer les dix dernières années à monter des dossiers d’homologation pour que leurs machines puissent bénéficier de l’immatriculation à vie (SIV). »

Pas de délai

Les constructeurs s’attendaient à un délai supplémentaire, comme c’est le cas actuellement pour la mise en place du freinage double ligne. Mais tout s’est emballé la semaine dernière, avec une question du sénateur d’Ille-et-Vilaine, Dominique de Legge (LR), au ministère de la Transition écologique et solidaire, sur la possibilité d’obtenir un éventuel délai. Fin de non-recevoir de la part du ministère, qui estime que les constructeurs ont eu suffisamment de temps pour anticiper depuis la publication de l’arrêté, le 30 décembre 2016.

Pour la filière du machinisme, le coût de cette nouvelle homologation est estimé à 20 millions d’euros. Face à l’urgence de la situation, Axema (le syndicat des constructeurs et importateurs), la Fnar (artisans ruraux) et le Sedima (concessionnaires) demandent un délai supplémentaire d’un an. Leur principal argument est l’arrivée très tardive des nouveaux dossiers administratifs à remplir pour cette réhomologation. Le format type n’est disponible que depuis janvier 2019, ce qui laisse moins d’un an aux constructeurs pour effectuer les modifications. Selon Axema, les adaptations à apporter peuvent augmenter le prix de revient de 6 %, un surcoût répercuté à l’agriculteur.

Accumulation de règles

Sur le terrain, l’effet de l’arrêté du 19 décembre 2016 sur les prix risque de se faire sentir dès les commandes de morte-saison. Et du côté des concessionnaires, on s’inquiète de cette « réglementation de trop », qui risque de rendre les prix des machines inacceptables pour les agriculteurs et entrepreneurs. Et ce d’autant plus que, parallèlement, les tracteurs et matériels neufs doivent s’équiper du freinage double ligne, qui augmente encore le prix de vente. Et comme une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule, les agriculteurs devront mettre la main à la poche pour immatriculer et inscrire au SIV des matériels qui bénéficiaient d’une dérogation avec la plaque d’exploitation.

Certains craignent que de nombreux petits constructeurs ne soient pas en mesure de réhomologuer leur gamme. Il faudra donc s’attendre à une diminution du nombre de marques et une réduction du panel de machines. Selon René Autellet, la mise en application du nouvel arrêté pourrait signer la fin de nombreux fabricants régionaux. La balle est maintenant dans le camp du ministère. Corinne Le Gall