Lancé le 15 janvier en Normandie par le président Emmanuel Macron pour répondre à la crise des « gilets jaunes », le grand débat national s’est achevé le 15 mars. Les Français ont pu s’exprimer sur quatre thèmes : l’écologie, la fiscalité, la citoyenneté et l’organisation de l’État. Plus de 1,5 million de personnes y ont participé : un tiers via le site dédié du grand débat (1), un tiers lors des 10 000 réunions locales, et le dernier tiers à travers 16 000 cahiers de doléances et 27 000 courriers. La synthèse, accessible sur le site du Grand débat, a été rendue publique le 8 avril.
L’urgence écologique
Après la fiscalité, l’écologie est le sujet qui a le plus mobilisé les Français. L’urgence écologique, avec la lutte contre le réchauffement climatique, fait consensus. Concernant l’agriculture, se dessine une majorité de partisans d’une écologie offensive, avec interdiction des pesticides et du glyphosate. Les problèmes jugés les plus importants sont le dérèglement climatique, la baisse de la biodiversité et la disparition des espèces, ainsi que la pollution de l’air. Dans la synthèse figurent des injonctions à manger moins de viande, à développer les circuits courts et à adopter une alimentation de proximité et saine.
Le modèle agricole contesté
Pour répondre aux menaces sur la biodiversité, les contributions déposées sur le site dédié recommandent la réduction de l’utilisation des pesticides (26 %) et le changement du modèle agricole (22 %). Lequel se traduirait par une agriculture plus respectueuse de l’environnement, le développement de l’agriculture biologique, la réduction de l’élevage intensif et des OGM… Notons toutefois que les 407 000 répondants sur le site sont majoritairement urbains : 56 % sont issus de villes de plus de 100 000 habitants (alors qu’ils représentent 46 % des Français) contre seulement 9 % des répondants issus des communes rurales qui rassemblent pourtant 23 % de la population (de plus de 15 ans). Notons qu’au vu du nombre de participants, leur poids peut être relativisé…
L’agriculture doit-elle faire son mea culpa ?
À l’issue de la synthèse des débats, Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, tire un bilan en demi-teinte. Si la voix des territoires ruraux a été entendue, se réjouit-elle, l’agriculture a été fortement questionnée : « On mesure que beaucoup de choses que nous faisons déjà sont insuffisamment connues. Nous avons certainement péché en n’expliquant pas assez comment l’agriculture a évolué, pourquoi il y a mille modèles d’agriculture dans notre pays, et pourquoi il faut valoriser et faire vivre chaque modèle. » Concernant les attentes exprimées, elle tempère : « Nous sommes déjà au travail [sur le glyphosate et le bien-être animal, N.D.L.R.] et nous avons besoin d’un calendrier et d’accompagnement. »
Miser sur les élections européennes
« C’est une vision de consommateurs », constate pour sa part Bernard Lannes, président de la Coordination rurale (CR), qui estime que peu de citoyens s’interrogent sur la place de ce secteur pourtant stratégique, mais saboté par la concurrence déloyale. « L’agriculture est laissée pour compte, voire dénigrée, mais on a l’habitude d’être accusés », ironise celui qui veut se concentrer sur le vrai combat : « Les élections européennes, pour obtenir une politique plus régulatrice et protectrice et des prix rémunérateurs. » Pour l’instant, les restitutions montrent surtout des déclarations d’intention, et rien de concret, renchérit la secrétaire générale de la CR, Véronique Le Floc’h. « On mise beaucoup sur l’agriculture, mais pour réduire l’empreinte carbone, commençons par limiter les importations ! »
À la croisée des chemins
À la Confédération paysanne, le bilan des consultations n’est pas une surprise : « Nous savons que les gens aspirent à manger mieux, et veulent une réduction des produits phytosanitaires, explique Laurent Pinatel, porte-parole du syndicat. Ce bilan montre bien qu’il y a une déconnexion entre les attentes des citoyens et nos pratiques… » Pour lui, les aspirations exprimées vont dans le sens des valeurs défendues par son syndicat. Il espère que les débats européens et la réforme de la Pac 2020 en tiendront compte pour accompagner la transition agricole : « Nous sommes à la croisée des chemins, comme dans les années 1960 où il a fallu moderniser. Aujourd’hui, les attentes sont le sans-pesticide, moins d’impact sur le climat et davantage de paysans. »
Et maintenant ? De cette consultation inédite, Emmanuel Macron doit annoncer mi-avril les chantiers qu’il compte lancer. Comment va-t-il prendre en compte les demandes contradictoires ? Comme celle d’une montée en gamme de l’alimentation face aux contraintes budgétaires des ménages ? Les syndicats y seront attentifs. L’agriculture ne veut pas faire les frais d’une grande campagne de réconciliation d’un président avec ses concitoyens. Et elle va montrer qu’elle fait partie des solutions pour l’écologie. Sophie Bergot
(1) Retrouvez toutes les contributions sur le site : www.granddebat.fr