Chaque été, des dizaines d’hectares de broussailles partent en fumée. Dans la plaine du Roussillon, on est passés « en quelques années d’un phénomène anodin à un risque en passe de devenir majeur », s’alarme la DDTM (1) des Pyrénées-Orientales, qui a édité en 2017 une brochure de douze pages sur ces feux de friche. Le danger a conduit la plupart des collectivités du département à s’intéresser aux terres en déprise qui représentent, sur certains territoires, 30 à 50 % de la SAU (8 000 ha pour la communauté d’agglomération de Perpignan, soit près de 30 % de sa SAU).
Artillerie juridique
Ce n’est pas la seule raison. « Les élus ont réalisé que le foncier constitue l’outil de travail des agriculteurs, et représente un enjeu pour l’économie locale », souligne Jean-François Jacquet, à la chambre d’agriculture. Le fait que des coopératives, en manque de foncier, soient allées développer leur activité hors du département a sans doute été un déclic.
Le conseil départemental a pris le sujet des friches à bras-le-corps et incite les collectivités locales à mobiliser trois types d’outils. Le premier est la réorganisation foncière, dans un département qui n’a jamais connu de remembrement : la taille moyenne des parcelles est inférieure à 5 000 m² et le compte de propriété moyen s’établit à un hectare. Le deuxième consiste à délimiter des périmètres de protection des espaces naturels et agricoles (PAEN) pour graver dans le marbre la vocation agricole des terres et stopper la spéculation foncière, première cause de développement des friches dans le secteur. Deux PAEN sont déjà approuvés dans le département et plusieurs en projet. Reste les outils de reconquête proprement dits. Après des années d’animation auprès des propriétaires fonciers, faute de résultats suffisants, une procédure collective de remise en valeur de terres incultes va être lancée pour la première fois dans le département, afin d’installer des agriculteurs ainsi que des maraîchers.
Mais la mobilisation de l’artillerie juridique, quand elle est nécessaire, ne représente jamais que la phase finale d’un long travail de reconquête.
Identifier les espaces
Tout commence par l’identification des espaces abandonnés (lire onglet ci-contre). Des recensements ont été lancés, un peu partout, à l’échelle de communes ou intercommunalités. Ils révèlent un potentiel de surfaces à reconquérir considérable. À condition de ne pas ménager sa peine : sur l’agglomération d’Agen, la chambre d’agriculture ainsi que la Safer ont passé à la loupe 3 500 ha de friches – 2 200 parcelles et 1 100 propriétaires pour n’en retenir que 870 ha pouvant revenir à l’agriculture.
De son côté, Metz Métropole estime que la moitié des 750 ha de friches agricoles de son territoire pourraient être reconverties. Plus la pression foncière est forte, plus l’intérêt de se lancer dans ce travail de fourmi apparaît justifié. C’est le cas des 46 communes du Grésivaudan, en Isère, coincées entre la montagne et la ville. Un chantier de repérage des gisements fonciers y a été lancé fin 2015 en partenariat avec la Safer et la chambre d’agriculture. Tous les espaces non artificialisés et semblant inutilisés ont fait l’objet d’un repérage cartographique. « La pente, l’exposition, les caractéristiques du sol ont été analysées pour évaluer l’intérêt pour l’agriculture, explique Charlotte Doucet, animatrice de l’association Adabel, associée à ce projet sur une douzaine de communes du massif de Belledonne.
Ensuite, des réunions communales avec les agriculteurs et les élus ont permis de vérifier que les parcelles identifiées étaient réellement inutilisées et intéressantes. »
Au total, 1 380 ha potentiellement attractifs ont été recensés. Sur le cadastre, 400 comptes de propriété ont été identifiés. Les propriétaires des parcelles les plus stratégiques ont été appelés individuellement. D’ici à 2020, l’objectif est de remettre à l’agriculture 500 ha, installer 10 agriculteurs et consolider 20 fermes. Les candidats sont déjà nombreux.
La métropole nantaise, elle, a déjà installé plusieurs agriculteurs sur des espaces défrichés (lire témoignage p. 17). Un diagnostic lancé en 2009 sur le territoire révélait 1 900 ha de friches théoriquement avantageuses. Un premier objectif de 500 ha défrichés en 2014 a été presque atteint : « 450 ha ont été remis en culture, permettant d’accompagner 51 projets dont 12 installations », indique Steven Kergoat, technicien agriculture à Nantes Métropole. Et le travail se poursuit. « Les propriétaires des espaces en friche sont rencontrés lors de réunions collectives, puis individuellement. On commence par casser tout espoir de voir leurs parcelles devenir constructibles car la destination agricole est figée dans les documents d’urbanisme. Mais certains veulent y croire quand même… »
Association foncière
La procédure de mise en culture de biens incultes a été activée une fois. Sur une commune où une trentaine de propriétaires avaient accepté de se regrouper dans une AFA (2) pour proposer un bail à un agriculteur, quelques réfractaires refusaient de mettre leurs terrains à disposition. Convoqués officiellement pour que soit constaté l’état de friches, ils s’étaient vus présenter deux options. Soit la procédure se poursuivait, entraînant une obligation de défrichage à leurs frais – plus de 1 000 €/ha. Soit ils entraient dans l’AFA et bénéficiaient de l’aide de l’agglomération pour défricher la parcelle, à hauteur de 80 % des frais engagés (HT). Le calcul a été vite fait et la procédure s’est arrêtée. « L’idée n’est pas de multiplier ces procédures, mais aujourd’hui, elle sert d’exemple », conclut Steven Kergoat.
Projet de territoire
Le diagnostic a été réactualisé après 2014, révélant aujourd’hui un total de 1 130 ha de friches ayant un potentiel agricole. Une analyse plus fine permettra d’écarter celles dont l’enfrichement est trop avancé pour justifier une intervention, autant sur le plan économique qu’écologique. Désormais, le programme de reconquête des friches s’articule avec le projet alimentaire territorial, et son volet sur le développement des productions locales. Les installations, qui se faisaient au gré des opportunités, pourront s’inscrire à l’avenir dans des appels à manifestation d’intérêt afin de trouver, pour chaque terrain défriché, le projet le mieux adapté, et vice-versa. De manière générale, le fait de s’inscrire dans un projet de territoire motive plus les propriétaires…
Au-delà du gisement foncier qu’elles représentent, la question des friches offre plusieurs entrées : les élus de la Vallée de la Bruche, en Alsace, ont décidé de les combattre pour remodeler leur paysage et gagner des heures d’ensoleillement, tandis que les services de l’État dans l’Essonne pointent « les dégradations et incivilités [qui] ne manquent pas dans les lieux mal entretenus ». Ailleurs, l’action est parfois motivée par la prolifération du gibier ou des ravageurs, ainsi que l’urgence de redonner une valeur aux terres, pour les empêcher de disparaître sous le béton.
De la charte agricole de la métropole d’Orléans au projet « zéro friche » de la Safer de Corse, en passant par la cellule « terres incultes » déployée sur l’île de la Réunion, la reconquête des terres en déprise mobilise aujourd’hui des énergies aux quatre coins de la France. Avec parfois déjà des résultats encourageants. Force est cependant de constater qu’il faut plus de temps pour réhabiliter une friche que pour en créer une. À l’heure où le devenir des zones intermédiaires et des anciennes « zones défavorisées simples » est questionné, on espère que les décideurs ont cet enjeu en tête.
(1) Direction départementale des territoires et de la mer. (2) L’association foncière agricole de propriétaires (AFA), permet au preneur de bail d’avoir un seul interlocuteur en cas de parcellaire très morcelé.