Les États membres de l’Union européenne ont voté, le 27 novembre, en faveur du renouvellement pour cinq ans de l’autorisation du glyphosate en Europe, avec une majorité qualifiée obtenue en grande partie grâce au revirement de dernière minute de la position allemande, déclenchant une tempête politique chez nos voisins. La France reste sur sa position d’interdire l’herbicide d’ici à trois ans. Une position que le syndicat majoritaire qualifie de « provocation » et qui inquiète bon nombre d’agriculteurs, mais qui ne relève pas de la Commission européenne (lire l’encadré ci-dessous).

« Il faut trouver des alternatives », sonne comme la rengaine du gouvernement depuis plusieurs mois. Le 2 novembre dernier, les ministères de la Transition écologique, de l’Agriculture, de la Santé et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ont demandé à l’Inra un rapport permettant de mettre en place le plan de sortie du glyphosate demandé par le premier ministre. Ce rapport a été rendu public le 1er décembre. « On savait faire de l’agriculture ‘avant’ et on saura en faire ‘après’, mais les changements de structure et d’organisation éprouvés par l’agriculture française (et européenne) au cours des dernières décennies, dont certains rendus possibles grâce à l’utilisation du glyphosate, ne permettent pas d’envisager un retour à ‘avant’ et obligent à construire un ‘après’ différent », indiquent les auteurs.

Impasses techniques

Le rapport de l’Inra identifie et synthétise les différentes alternatives au glyphosate utilisées par les agriculteurs et par la recherche et l’expérimentation. Parmi elles, le travail du sol tient une place prépondérante. Or, « toutes les terres agricoles ne sont pas équitablement propices à permettre un travail du sol. Ce sera notamment le cas des sols difficiles, superficiels, facilement engorgés ou riches en cailloux », note l’Inra. De même que certains territoires à fort risque d’érosion, où les techniques sans travail du sol sont privilégiées. Les systèmes de semis direct sous couvert végétal sont d’ailleurs identifiés comme des situations orphelines clairement caractérisées. « Cette agriculture qui restaure les sols et stocke du carbone a été construite car le glyphosate permettait cette double action de détruire les couverts d’interculture (directive nitrate) et gérer la flore vivace. Ces agriculteurs pourraient être conduits à renoncer à leur principe et à réintroduire un travail superficiel, voire parfois un labour », constate l’Inra.

D’autres impasses techniques sont identifiées, comme les cultures pour des marchés spécifiques avec fortes contraintes techniques (production de semences, légumes frais et de conserve cultivés en plein champ), mais aussi les débits de chantiers, que l’utilisation du glyphosate a permis d’accélérer dans les grandes exploitations peu diversifiées.

Mesures d’accompagnement

Pour l’Inra, l’évaluation du surcoût économique lié à l’abandon du glyphosate est délicate car elle dépend largement des situations. « Entre productions et exploitations, l’impact économique sera d’autant plus marqué que la diversification des cultures est faible, qu’il n’y a pas d’élevage, que le secteur concerné touche des marchés très concurrentiels au sein de l’Union européenne. » L’Inra le concède : l’adaptation à un arrêt du glyphosate passera par des changements profonds.

Plusieurs mesures d’accompagnement sont recommandées : les aides à l’investissement, la mobilisation des MAEC Systèmes, la mobilisation des dynamiques collectives d’agriculture, le conseil et la formation, l’utilisation de la réglementation et notamment des CEPP et les organisations de filières, en favorisant par exemple la reconnaissance de produits issus de filières sans glyphosate.

Le paradoxe de l’interdiction

Le rapport de l’Inra soulève cependant le paradoxe qu’« une perspective d’interdiction totale constitue une rupture à la logique de simple réduction d’usage des produits phytopharmaceutiques », incarnée en France par le plan Ecophyto, en déclinaison de la directive européenne 2009/128. « La focalisation sur le glyphosate et la mise de côté de la cohérence d’ensemble des actions de réduction des produits phytopharmaceutiques peuvent avoir des incidences à moyen/long terme qui ne seront pas nécessairement prévisibles et souhaitables, allant jusqu’à l’augmentation de la consommation d’autres herbicides ou d’autres pesticides », détaille le rapport, en citant notamment le cas des bananeraies, où l’usage du glyphosate permet des économies en insecticides et nématicides. L’Inra rappelle la place « très particulière » qu’occupe le glyphosate par rapport à la trajectoire de réduction des phytos. « Il ne se substitue pas aux autres herbicides car il permet soit de résoudre des situations d’enherbement spécifiques, soit une gestion simple de l’ensemble de la flore adventice. »

Le gouvernement français a indiqué que ce rapport permettra de présenter, lors de la clôture des États généraux de l’alimentation avant la fin de l’année, une feuille de route pour la sortie du glyphosate. La question des distorsions de concurrence et d’harmonisation des pratiques entre les pays européens devra certainement y être abordée.