La France connaît cet été une sécheresse exceptionnelle, qui pourrait devenir commune à partir de 2050 en raison du dérèglement climatique. C’est dans ce contexte que le gouvernement a présenté le 9 août, en Conseil des ministres, ses nouveaux axes d’action en matière de gestion quantitative de l’eau. Et une fois n’est pas coutume, il s’agit d’une initiative commune entre le ministre de la Transition énergétique, Nicolas Hulot, et le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert. Ils entendent développer une « politique de gestion durable de l’eau pour résorber les situations de tension hydrique » et comptent associer « pleinement les territoires ». Ce plan gouvernemental fait suite à deux rapports parlementaires et un avis du Cese (1), en 2016, qui pointaient du doigt la nécessité d’avancer sur cette question de gestion de l’eau.
Les actions présentées par les deux ministres (lire encadré ci-dessous) s’articulent autour de deux objectifs : l’un est d’encourager la « sobriété des usages » et l’innovation, en mettant en avant le besoin de développer une agriculture plus économe en eau. L’autre est de « faire émerger des solutions » pour s’adapter aux besoins locaux. L’agriculture n’est pas la seule concernée par ce plan, puisqu’il cible aussi les citoyens, les entreprises, les services publics. « Quand on parle des aspects quantitatifs de l’eau, on ne cible en général que l’agriculture. Là, tous les usages de l’eau sont concernés », se félicite Éric Frétillère, président d’Irrigants de France. « L’ensemble des mesures est cohérent, les différentes actions sont mises sur un même pied », juge par ailleurs Guillaume Chamouleau, président d’Aquanide (association des irrigants de Poitou-Charentes).
L’annonce la plus forte concerne le stockage de l’eau, puisque les ministres appuient la réalisation, « là où c’est utile et durable, des projets de stockage hivernal de l’eau afin d’éviter les prélèvements en période sèche lorsque l’eau est rare ». Le gouvernement aurait-il vraiment pris conscience qu’avec le changement climatique, il est urgent de stocker l’eau pour préserver les ressources en été et continuer à produire ?
Projets de territoire
Si le signal politique est là, encore faut-il qu’il soit suivi d’effets sur le terrain afin que les projets actuellement au point mort puissent voir le jour. « Des annonces, on en a déjà eues, mais il n’y a pas eu d’évolution ensuite », dénonce Guillaume Chamouleau, qui se veut prudent après plusieurs années de déception.
Selon Irrigants de France, les projets de réserves agricoles bloqués (à des stades plus ou moins avancés) représenteraient sur l’ensemble du territoire près de 200 millions de m3 (Mm3). À cela s’ajoutent 70 Mm3 de réserves multi-usages et près de 150 Mm3 correspondant à des infrastructures de transfert d’eau. Des chiffres qui restent à consolider dans le cadre de la cellule d’expertise mise en place par le gouvernement « afin de dénouer les éventuelles difficultés rencontrées dans la gestion de la ressource en eau en agriculture ». Cette cellule interministérielle examinera, d’ici le 31 octobre, « les cas de tous les projets de territoires en cours afin de déterminer s’il est possible d’accélérer leur réalisation ». Pour le syndicalisme majoritaire (APCA, FNSEA, Irrigants de France, Jeunes agriculteurs), la création de la cellule d’expertise « prend tout son sens, car elle s’assurera de lever les blocages pour permettre la réalisation des projets en cours et l’émergence de nouveaux ». Selon le ministère de la Transition énergétique, sur les 87 projets de territoire prévus, 47 sont en cours et devraient être examinés par la cellule d’expertise. Rappelons que les projets de territoire ont été instaurés en 2015 pour faciliter la gestion des ressources en eau pour l’agriculture. Tous les acteurs se mettent autour de la table afin de discuter des orientations à prendre préalablement à la réalisation d’un stockage. Objectif : éviter les recours à répétition et le blocage des dossiers.
Simplification administrative
Le gouvernement promet des solutions pour simplifier les démarches administratives. Comme mentionné par Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, lors de son compte rendu du Conseil des ministres du 9 août, « certains dossiers de réserves collinaires mettent cinq ans pour être instruits, alors même que c’est le meilleur mode de stockage de l’eau ». Cela demande parfois beaucoup plus de temps. Les raisons du blocage ? Elles sont d’ordres réglementaire et juridique, avec des procédures administratives de plus en plus longues et des études d’impact de plus en plus nombreuses en raison des recours des associations environnementales. Si bien que le coût de création d’un stockage d’eau s’est envolé ces dernières années. Selon Guillaume Chamouleau, ce coût est passé de 1,50 €/m3 il y a vingt ans à 7 €/m3 aujourd’hui pour une réserve bassine ! Résultat : en Poitou-Charentes, pas moins de 109 projets d’ouvrages sont en attente d’autorisation, représentant 38,55 Mm3 (2). À cela s’ajoutent des ouvrages terminés, remplis, mais pas utilisables à cause de nouveaux recours administratifs. Afin de limiter ces blocages, Guillaume Chamouleau suggère d’inclure dans la loi sur l’eau une clause permettant d’identifier les recours abusifs. « Ce sont des petits leviers, mais cela pourrait redévelopper la dynamique, estime-t-il. Quand un projet est mené en bonne et due forme, il faut savoir le reconnaître. »
Changement des pratiques agricoles
Mais selon la Confédération paysanne, « abreuver, à coup de subventions publiques, des systèmes agricoles intensifs déjà à forts impacts négatifs sur les ressources naturelles, c’est adopter une posture de fuite en avant irresponsable face aux enjeux graves du dérèglement climatique en cours ».
Le syndicat regrette que « derrière les annonces vagues qui ont été faites, le gouvernement vise la simplification pour libérer la ressource. Alors que l’idée sous-jacente est de favoriser la prolifération de réserves ». Et de rappeler que « non, les pluies hivernales ne tombent pas pour rien mais participent au cycle naturel de l’eau ». Même son de cloche chez France Nature Environnement, pour qui la construction de retenues d’eau est « inacceptable », car ce n’est pas une « solution durable ». « Le manque de précipitations de cet hiver et du printemps le montre, les retenues peuvent elles aussi se retrouver à sec », argumente l’organisation. Elle appelle à un changement de pratiques agricoles pour évoluer vers des cultures moins gourmandes en eau. Toutefois, pour la Coordination rurale, « développer une agriculture plus économe en eau signifierait : plus de blé que nous ne savons pas où vendre, moins de culture de maïs et donc plus d’importations de maïs OGM au sein de l’Union européenne. De plus, si nous voulons améliorer notre approvisionnement en protéines végétales pour ne plus dépendre des importations de soja OGM, nous aurons besoin de développer le soja qui est une culture irrigable. » Le syndicat appelle à augmenter la ressource en eau afin d’assurer la régularité de la production agricole. Mais pas question pour lui de « réserver les augmentations de ressource prévues aux loisirs ou aux besoins domestiques ».
(1) Conseil économique, social et environnemental.
(2) Aujourd’hui, dans cette région il existe une quarantaine d’ouvrages en service, pour 7,8 Mm3 stockés.