Qu’ils sont loin, les engagements de 2013 et le discours de Cournon, qui promettait de soutenir les éleveurs sans abandonner les céréaliers et de renforcer l’aide aux zones défavorisées… « François Hollande avait assuré à Xavier Beulin que les engagements pourraient être tenus sur la période 2014-2020 », se souvient amèrement la présidente de la FNSEA, Christiane Lambert. « Les engagements pris à l’époque étaient équilibrés, renchérit Claude Cochonneau, à la tête des chambres d’agriculture. Avec une ponction sur le premier pilier de la Pac, on rompt l’équilibre. »
Car ainsi l’a décidé Stéphane Travert. Afin d’honorer les engagements financiers pris sur certaines mesures du second pilier de la Pac (ICHN, bio, MAEC, gestion des risques), un prélèvement de 4,2 % sera opéré sur le premier pilier (DPB et aides couplées). Ce taux de transfert, arrêté le 27 juillet après consultation des organisations agricoles, est censé couvrir « l’impasse budgétaire » de 853 millions d’euros (M€) que le ministre dit avoir découverte dans la maquette financière du second pilier de la Pac. La répartition de cette enveloppe entre les Régions sera discutée début septembre.
Ce nouveau prélèvement (qui s’ajoute au transfert annuel de 3,3 % acté dès 2013 pour financer la gestion des risques) sera effectué sur les aides 2018 et 2019. Il alimentera ainsi les enveloppes du second pilier en 2019 et 2020. Les céréaliers ne sont pas les seuls impactés. « Les systèmes de polyculture-élevage semi-intensifs, qui peuvent cumuler jusqu’à 400 €/ha, seront autant mis à contribution que de grandes exploitations céréalières de l’Yonne ou du Loir-et-Cher, qui ont beaucoup d’hectares mais touchent moins de 200 €/ha, souligne Christiane Lambert. Et certains éleveurs de zones défavorisées ne récupéreront même pas sur l’ICHN tout ce qu’ils auront perdu sur le premier pilier ! »
Enveloppe siphonnée
Pour la FNSEA, la Coordination rurale (CR) et les chambres d’agriculture, il revenait à l’État de trouver les ressources nécessaires sur le budget national. « En début de programmation, la France a décidé de réduire sa part de cofinancement de l’ICHN à 25 % au lieu de 50 %, ce qui a siphonné plus vite l’enveloppe européenne, rappelle Claude Cochonneau. L’État a fait des économies grâce à cette décision, maintenant à lui de prendre sur son budget pour tenir ses engagements ! »
Le transfert de fonds vers le second pilier passe d’autant plus mal que celui-ci, géré par les Régions depuis 2015, a cristallisé les tensions liées au retard d’instruction et de paiement des dossiers bio/MAEC. « Mieux vaudrait tout remonter au premier pilier, géré par l’État, en laissant les Régions qui le souhaitent compléter les aides », risque Bernard Lannes. Pour le président de la CR, l’argent peut se trouver en requalifiant « le plan d’investissement annoncé de 5 Mds€ en plan de refinancement des exploitations. »
Les partisans d’un transfert plus conséquent se désolent, eux, à l’idée que le financement de certaines mesures du second pilier ne sera pas assuré jusqu’en 2020. À commencer par la bio, qui aurait nécessité un prélèvement de 3 % rien que pour elle, selon la Fnab. « Il faut 190 M€/an pour la conversion sur 2018, 2019 et 2020 si la dynamique actuelle se poursuit, et 36 M€/an pour le maintien », affirme sa présidente, Stéphanie Pageot. Selon les calculs de la Confédération paysanne, c’est au total 8,8 % de crédits qu’il aurait fallu transférer sur le second pilier : 3 % pour la bio, 2 % pour les MAEC et 3,8 % pour l’ICHN.
Flou artistique
Tout en entretenant le flou artistique, le ministère tente de rassurer. Contacté par La France agricole, le cabinet du ministre affirme que le transfert de 4,2 % permettra de « couvrir l’impasse budgétaire de 853 M€ ». C’est-à-dire assez « pour financer l’ICHN jusqu’en 2020, tout en respectant les engagements sur les autres mesures », dont la bio et les MAEC.
Avec quelques bémols… Sur l’ICHN, les besoins estimés « tiennent compte des dynamiques existantes », assure le ministère… Mais ils s’entendent sur le périmètre actuel, alors que le projet de réforme actuellement sur la table appelle quelque 230 M€ supplémentaires ! Ce nouveau zonage était censé s’appliquer dès 2018. Son report a été demandé à Bruxelles.
Sur la bio et les MAEC, les contrats déjà signés seront financés jusqu’à leur terme et les conversions « pourront être financées au rythme actuel, permettant d’atteindre l’objectif de 8 % de surfaces en bio en 2021 », affirme-t-on rue de Varenne. Mais comment prévoir l’évolution du rythme de souscription à ces mesures ? L’État et les Régions n’ont pas brillé à ce jeu depuis 2015… Devant les organisations professionnelles, le 21 juillet, le ministère avançait une fourchette de 80 M€ à 586 M€ pour les besoins budgétaires identifiés sur la bio et les MAEC : peu précis !
Les modalités de soutien à la bio et aux MAEC devront évoluer pour se plier à la contrainte budgétaire. Plafonnement des aides ? Ciblage ou arrêt de certaines mesures ? Réduction de la période de conversion aidée de cinq à trois ans (qui est la durée réglementaire dans l’Union) ? « Il y a un dialogue à avoir avec les Régions sur ces sujets », admet-on au ministère. En tant qu’autorités de gestion, elles auront la responsabilité d’assurer, ou non, la pérennité de l’aide au maintien de la bio et de certaines MAEC, sur leur budget et grâce à d’autres financeurs (exemple : Agences de l’eau).
D’autres déficits
Ce n’est pas tout. Il manquerait entre 86 et 233 M€ pour l’assurance récolte, selon les chiffres présentés aux organisations professionnelles, le 21 juillet. Son coût augmente du fait de la hausse des primes évaluée à 5 % par an (finissant dans la poche des assureurs) et de la dynamique de souscriptions. Le ministère souhaite en plus abaisser le seuil d’intervention de 30 à 20 %. Pour contenir le budget, une réduction du taux de subvention (65 % actuellement) est une piste évoquée.
Enfin, les besoins estimés pour la lutte contre la prédation s’élèvent à 35 M€, du fait de l’extension de l’aire de présence du loup. Mais le ministère prévoit de retirer le financement de cette mesure du budget de la Pac. Du bon sens selon l’APCA, qui juge que son coût devrait être assumé par le ministère de la transition écologique.
Reste que les crédits transférés, s’élevant à un peu plus de 300 M€ par an sur 2019 et 2020 (1), ne permettront pas de couvrir le déficit s’il s’élève bien à 853 M€. Et encore moins s’il faut financer une extension du zonage ICHN et une montée en puissance plus importante de la bio, des MAEC et de l’assurance récolte. Le ministère mise en partie sur les sous-consommations : « Il reste toujours des crédits non consommés en fin de période : plus de 150 M€ de reliquat sur 2006-2013 malgré une surprogrammation de 450 M€ au départ ». Mais depuis 2015, les enveloppes sont gérées par les Régions, et celles-ci préféreraient exploiter à leur échelon la fongibilité des enveloppes, plutôt que de faire remonter les sous-consommations au niveau national !
Assurant devant les députés de la commission économique, le 26 juillet, qu’il se serait « bien passé » de faire cet arbitrage, Stéphane Travert avait évoqué un besoin de « rigueur » et de « cohérence » en vue des négociations de la prochaine Pac. Un rééquilibrage entre les deux piliers, au profit des zones défavorisées et de l’environnement, semble s’inscrire dans les orientations pressenties pour la Pac post-2020. Sauf que le signal est brouillé par le marasme sur la bio et les MAEC et l’inquiétude pesant sur l’ICHN. Et personne ne s’attendait à devoir donner d’un côté pour recevoir de l’autre.
Devant les sénateurs le 19 juillet, Stéphane Travert avait dit vouloir restaurer la confiance dans la parole publique… Bon courage.
(1) 4,2 % sur un montant total d’environ 7,4 Mds€.