Lactalis temporise. Dès le lendemain du blocage du site de Laval (Mayenne), le 22 août, son porte-parole, Michel Nalet, annonçait sur Europe 1 que le groupe était « prêt à rouvrir les discussions ». Dans l’après-midi, trois émissaires du groupe rencontraient trois délégués du syndicalisme majoritaire (FNSEA, FNPL et JA). Après deux heures d’échanges intenses, ils convenaient d’une réunion jeudi 25 entre Lactalis et l’ensemble de ses organisations de producteurs (OP) « pour une sortie de crise par le haut ». Alors que le torchon brûlait depuis longtemps entre la FNSEA et Lactalis, cette entrevue est le signe d’un éventuel apaisement entre les éleveurs et la laiterie.
Depuis le début de l’été, le groupe mayennais a été la cible quasi-exclusive du syndicalisme majoritaire, alors que Bel, Savencia, Danone ou Sodiaal ont été relativement épargnés. Les FDSEA de l’Ouest, particulièrement remontées, avaient entamé des actions en juillet, puis les instances nationales ont embrayé. Le blocage du 22 août s’annonçait comme le point d’orgue de la mobilisation. « Lactalis est ciblé parce que c’est lui qui payait le plus mal en juillet, près de 10 €/1 000 l de moins que Sodiaal, et 30 € de moins que les autres, explique André Bonnard, secrétaire général de la FNPL. Cette fois, on ne manifeste pas pour que les prix remontent, mais pour que Lactalis remonte. » L’enjeu : éviter que les autres industriels ne s’alignent sur lui à la baisse. Particulièrement Sodiaal, toujours en difficulté. Mais même si le récalcitrant remonte de ces quelques euros, « on retombe sur le problème précédent », un prix du lait toujours trop bas, concède André Bonnard.
Devant les premiers signes d’ouverture, le président de la FNSEA choisit l’apaisement. « Ce que je souhaite, c’est un dialogue sur la conjoncture mais aussi sur le fond », souligne Xavier Beulin. Même s’il concède qu’il ne faut pas « rendre Lactalis responsable de tout », il clame la nécessité de revenir sur les bases des relations commerciales qui lient le groupe à ses OP et sur les modalités de fixation du prix du lait. Jérémy Decerle, président de JA, a un ton plus vif. Si les éleveurs « en sont réduits à des actions de cette nature, c’est qu’ils sont arrivés à considérer que le dialogue ‘ ‘normal’’ était une impasse. C’est un élément qui devrait vous interpeller et vous conduire à vous interroger sur nos motivations ».
Cible ou symbole ?
Lactalis est aussi, plus largement, un symbole : celui de l’empire industriel, numéro un mondial, qui multiplie les rachats de groupes laitiers à l’étranger et dont peu doutent de la santé financière. Ses relations tendues, pour ne pas dire exécrables, avec les syndicats et les OP, le mépris avec lequel il peut traiter les éleveurs (voir ci-contre) et les réponses provocatrices de l’entreprise aux revendications syndicales, y participent. Tout comme l’opacité qui entoure ses comptes, non publiés malgré l’obligation légale ou la domiciliation fiscale de sa holding BSA International en Belgique.
Pour autant, ce ciblage ne semble pas convenir à tous. La FRSEA de l’Ouest a prévu de « demander audience aux industriels coopératifs comme privés », Lactalis n’étant que « le premier d’entre eux. » Le syndicat estime que « les entreprises réalisent des marges à 2 chiffres » et font de « nombreux investissements grâce à leurs bénéfices, mais au détriment des éleveurs. »
Les autres syndicats tiquent également sur cette stratégie. Ils ne se sont d’ailleurs pas joints à la mobilisation. Si Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne, avait exprimé son soutien aux manifestants sur France Inter le 2 août, son syndicat ne s’est pas engagé aux côtés de la FNSEA. Il estime aujourd’hui « réducteur » de ne cibler que le groupe mayennais. « C’est faire abstraction du contexte mondial de surproduction, juge-t-il. Pour la Conf’, la cible, c’est l’Europe : il faut un plan obligatoire de réduction des volumes pour tous les éleveurs. » « Lactalis n’est pas un enfant de chœur, mais c’est plus facile de s’attaquer à lui qu’aux coopératives, s’agace Boris Gondouin, président de l’Apli. Ce sont elles, et non plus les banques, qui financent les éleveurs en leur accordant des crédits et en leur achetant lait, viande, céréales… »
Véronique Le Floc’h, présidente de l’OPL (Coordination rurale), s’interroge aussi. Pourquoi épargner Sodiaal, qui paie aussi mal que le géant mayennais ? Ou Danone, Bel et Savencia, avec leurs bénéfices en hausse ? Ces industriels pourraient-ils payer davantage les éleveurs ? Pour Véronique Le Floc’h, « oui, c’est évident ». Laurent Pinatel nuance : « Il faut avant tout résorber la surproduction plutôt qu’essayer de trouver de nouveaux marchés pour écouler les surplus. 4 % de baisse devraient suffire. » Au-delà du contexte mondial de surproduction, une hausse du prix passera par un renforcement des OP, seule façon de faire aboutir des revendications jusque-là vaines. Ce travail est du ressort des pouvoirs publics.