«Le jour où mon père est mort, il a fallu prendre une décision très vite. J’étais encore étudiant. Depuis gamin, j’étais intéressé par l’agriculture. Mais, comme j’avais de bons résultats à l’école et la possibilité de faire des études, je me suis décidé à rentrer à l’Agro. Je pensais avoir encore plusieurs années devant moi avant la retraite de mon père. Je voulais essayer d’autres métiers en me disant que je verrais plus tard pour reprendre la ferme.

Mais mon père est tombé malade et il est décédé un an plus tard. C’était brutal. Je devais prendre une décision rapidement, sans même pouvoir en discuter avec lui. Il m’avait toujours dit : « Va d’abord voir ailleurs ! » Il était le dernier de trois garçons et ses deux frères étaient partis faire autre chose. Lui avait dû rester pour reprendre la ferme. Mais à moi, il voulait me laisser l’entière liberté de mes choix. Si je ne l’avais pas suivi sur l’exploitation, il n’aurait pas considéré cela comme un échec.

Je l’ai écouté pour les études

Après la 3e, j’aurais pu aller en lycée agricole pour m’installer à 20 ans. Mais il m’avait encouragé à poursuivre des études générales et c’est ainsi que j’ai intégré l’Agro.

Quand il est décédé, il me restait encore une année. La mutuelle « coup dur » du village s’est mise en route pour parer à l’urgence, s’occuper des cultures, des moissons… Mais ensuite ? Ni mes frères, ni ma sœur n’étaient intéressés. Il n’y avait que moi. Ou je reprenais la ferme tout de suite, sans trop savoir comment, ou je risquais de la perdre et elle serait allée à quelqu’un d’autre. Il nous aurait alors fallu partir, quitter le village et cette exploitation où ma famille travaillait depuis plusieurs générations. Cela aurait rendu les choses encore plus dures. Mais personne n’a jamais fait pression sur moi.

J’ai terminé mes études et je me suis installé. Comme j’avais toujours cette envie d’aller voir ailleurs, j’ai embauché un salarié. Cela m’a permis d’être à la fois sur l’exploitation et de me libérer du temps pour faire d’autres choses (1). Si j’avais fait un autre choix, je sais que je le regretterais aujourd’hui, parce que je ne serais pas allé au bout de ma passion, et que j’aurais le sentiment d’avoir loupé quelque chose. Ce regret, je l’aurais eu toute la vie. »

Propos recueillis par Myriam Guillemaud

(1) NDLR : Luc Servant a été président des JA de Charente-Maritime et de la chambre régionale d’agriculture de Poitou-Charentes. Il est toujours président de la chambre d’agriculture de Charente-Maritime.