Du plafonnement d’incorporation de biocarburant de première génération aux études critiques des biocarburants, en passant par des ventes françaises de biodiesel au point mort, le tableau de la filière biodiesel française s’assombrit. Qu’en est-il réellement ? Est-ce vraiment le début de la fin pour cette filière dans laquelle notre industrie a beaucoup investi ? Pour Sébastien Haye, consultant chez E4tech, « la filière biodiesel n’est pas en voie d’extinction, mais on identifie certaines menaces de stagnation dans la filière des biocarburants conventionnels (de première génération) ». Ainsi la chute globale des prix des matières premières crée des tensions sur tous les maillons de la chaîne, ce qui écrase les marges de l’amont à l’aval. Le colza souffre aujourd’hui de la chute des prix du pétrole. « Produire du biodiesel a un coût, et plus le carburant fossile est bon marché, plus le coût d’incorporation du Diester est cher », explique-t-on chez Saipol (groupe Avril), le leader de la transformation en France.

Concurrence accrue

Une concurrence féroce se joue sur le marché des biodiesels. Notamment du fait de l’énorme différence entre les prix des huiles. De plus en plus de biodiesels produits en Europe sont issus d’huile de palme. « Avec l’importation d’huile de palme à bas coût, de nombreuses industries ont été tentées. Toutes les usines de trituration européennes qui ont fermé ces dernières années ont été rachetées pour produire du biodiesel issu de palme », précise Saipol. Autres nouveautés sur le marché : les huiles végétales usagées et les graisses animales. Des déchets et coproduits d’autant plus valorisés qu’ils font l’objet d’une politique incitative d’incorporation au sein de l’Union européenne. Dans le cadre de l’obligation européenne d’incorporation de biocarburants, le mélange d’un litre de biodiesel issu d’huiles usagées compte pour l’équivalent de deux litres de biocarburant conventionnel incorporé. « Le système de double comptage fait beaucoup d’ombre à la production de biodiesel issu de colza. D’autant que la production d’huiles usagées est considérée comme neutre en termes d’émissions de gaz à effet de serre (GES) », explique Arnaud Rousseau, vice président de la Fop (Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux).

La question se pose alors d’un possible revirement politique vers des biocarburants non issus de matière première agricole. Total s’est empressé d’investir dans ce sens. Le géant pétrolier s’apprête à reconvertir son unité de production de La Mède en biodiesel de seconde génération à travers les huiles végétales hydrotraitées (HVO). Le groupe porterait sa production annuelle de HVO de 20 000 à 500 000 tonnes. Une menace selon le groupe Avril, qui estime que ces produits « entrent en concurrence avec le biodiesel issu de la filière agricole et industrielle française ». Le risque serait que Total s’approvisionne uniquement en huiles recyclées et en huile de palme bon marché importée.

Flou politique européen

La filière s’inquiète aussi de l’absence de visibilité politique pour 2030. « Nous sommes dans l’incertitude complète concernant la stratégie européenne d’après 2020 », explique Sébastien Haye. De plus, les systèmes de soutien sont différents entre chaque État membre, cela crée une hétérogénéité de marché (voir encadré). « Les politiques allemandes et françaises ne soutiennent pas la production de biodiesel local », déplore Gérard Tubéry, président de la Fop. Autant de problématiques qui plongent l’Europe dans une surcapacité industrielle de production de biodiesels.

Saipol a d’ailleurs annoncé fin avril la réduction temporaire de ses activités d’estérification en France. Cette réduction résulte notamment d’une baisse importante des commandes, les projections de ventes de Saipol à début avril 2016 s’élevant à 928 000 t, contre 1,5 million de tonnes en 2015 à la même période. Le projet concernerait les 5 usines d’estérification de Saipol en France. Une conduite en sous-régime économiquement non viable à terme pour Saipol et Avril, actuellement en pourparlers avec les partenaires sociaux des différentes usines. « La loi des marchés a pris le dessus », alerte Gérard Tubéry. Le soutien politique se fait sur le volume de biocarburant incorporé (7 % en France), mais pas sur l’origine du biodiesel. Les experts s’accordent sur le problème de compétitivité du biodiesel issu de colza (Diester). « L’obligation de volume se remplit moins avec du Diester, car il est moins compétitif », précise Arnaud Rousseau, qui exprime sa « volonté de conserver nos outils durant cette crise qui n’est que temporaire ».

La Fop prépare déjà ses revendications pour la prochaine Pac. « L’Union européenne ne soutient pas suffisamment son économie intérieure et nos produits locaux. On veut une politique qui améliore ce soutien », affirme Gérard Tubéry. Alors que la Fop reste très optimiste pour la filière à moyen terme, notamment en raison des conclusions de la Cop 21, l’Organisation des producteurs de grains de la Coordination rurale (CR) est plus sceptique. « Nous n’avons jamais vu derrière ce montage ce que l’agriculteur pouvait gagner », explique Jacques Commère, responsable des producteurs de grains à la CR. La CR déplore le manque de visibilité pour l’agriculteur et de partage des valeurs ajoutées à tous les maillons de la chaîne. Reste à connaître les futures orientations politiques de l’Europe pour en savoir davantage sur les perspectives cette filière qui reste encore, de façon chronique, ébranlée par de nouveaux rapports à charge.

Carole Le Jeune