«Vous vous imaginez la difficulté de planifier semences et récoltes alors que l’on ne sait pas si la terre nous appartiendra encore l’année prochaine… ? Vadim Kaplia lève les bras au ciel. Avant la guerre qui a ravagé le Donbass, lui et son frère Vitaliy possédaient plus de 6 000 ha de terres arables dans les régions de Donetsk et de Louhansk, d’où ils tiraient une importante production de maïs, d’orge et autres céréales. « Aujourd’hui, il nous en reste à peine 4 000…, poursuit Vadim. Une partie se trouve juste derrière la ligne d’arbres, là-bas, en République autoproclamée de Donetsk…»

Après la stabilisation de la ligne de front, le village de Kodemo et leur exploitation, Dynastie, se trouvent désormais aux confins du territoire sous contrôle ukrainien, dans la « zone de sécurité », une sorte de cordon sanitaire d’une quinzaine de kilomètres de large, institué par l’armée de Kiev. Les murs des silos à grain portent encore les stigmates d’intenses bombardements.

Dans la cour sont stationnés tracteurs et autres machines agricoles, qui témoignent d’une certaine prospérité de l’exploitation. Mais certaines sont mal en point. « Les combattants ont déposé des mines ici et là. On en a repérée quatre ou cinq, mais celle-là, le chauffeur ne l’avait pas vue », raconte Vadim, en pointant du doigt l’arrière éventré de sa moissonneuse-batteuse. « Notre employé a survécu, Dieu merci. Mais réparer cette moissonneuse, c’est au moins 100 000 dollars, la moitié de son prix d’achat … » Le gouverneur de la région a promis d’entreprendre des travaux de déminage, qui se font attendre.

Malgré les difficultés, les frères Kaplia semblent avoir les épaules solides. Ils prévoient de participer à la Foire internationale de Hanovre 2016, pour renouveler leurs équipements. Le Crédit agricole leur a accordé des délais de remboursement pour leurs prêts.

Survie

« Les Kaplia, ils doivent s’en sortir, certainement… Nous, on survit. » Devant sa maison délabrée, dans le village voisin de Zaietseve, Petro Likhtenko, son fils et quelques amis s’efforcent de faire redémarrer un vieux tracteur diesel. Sur ses 100 ha, il cultive des pommes de terre et des légumes, qu’il revend aux habitants du village. « A peine de quoi survivre, et sûrement pas de quoi acheter de nouvelles machines », souligne-t-il avec sobriété.

« Avec mon mari, nous avons acheté ces quelque 50 ha de terrain à la retraite, car on ne pouvait pas se permettre d’habiter en ville avec nos pensions… Et voilà où nous sommes aujourd’hui », se lamente Tetiana Ryskal, qui réside à l’extrémité de Zaietseve. Avant le conflit, elle disposait d’une cinquantaine de vaches. « Il en reste vingt-cinq. Les autres ont été tuées, vendues, mangées, volées… La vie n’était déjà pas facile auparavant. Mais aujourd’hui, nous sommes littéralement oubliés du monde. »