« L'agriculture a besoin de l'apiculture et inversement. » Une devise que divulgue avec conviction Bertrand Auzeral, apiculteur sur les coteaux de l'Agenais. Comme d'autres agriculteurs et apiculteurs, il est persuadé du lien fusionnel qui existe entre les deux professions. L'apiculture professionnelle s'est en partie développée avec l'essor des cultures d'oléagineux dans les années soixante. La production de miel a explosé et est passée de 20 à 50 kg par ruche.

Les apiculteurs bénéficient des paysages modelés et gérés par les agriculteurs. Les abeilles se nourrissent du nectar, source de sucre, et du pollen des fleurs, source de protéines, de lipides et de vitamines. Elles assurent la pollinisation de nombreuses cultures dans quatre secteurs principaux : l'arboriculture, les grandes cultures (oléagineux et protéagineux, sarrasin), le maraîchage et les espèces fourragères comme la luzerne et le trèfle. Sur les 114 espèces qui fournissent 95 % de notre alimentation, 70 % sont dépendantes des insectes et particulièrement des abeilles, qu'elles soient sauvages ou domestiques. En l'absence de pollinisateurs, 75 % des cultures montrent une réduction des rendements. Une étude de l'ITSAP (1) et l'Inra ont évalué la contribution économique de la pollinisation à l'agriculture française. Elles avancent le chiffre de 1,5 milliard d'euros ! Alors quoi de plus naturel qu'une cohabitation entre agriculteurs et apiculteurs sur le territoire ?

ESPÈCES MENACÉES

Cependant, derrière ces évidences, les transformations des systèmes agricoles ont cristallisé des tensions historiques entre les deux professions. « Le remembrement, l'homogénéisation des espaces agricoles et la généralisation des zones de grandes cultures ont largement participé à la raréfaction des ressources alimentaires des abeilles », signale Anthony Arnaud, ingénieur agronome spécialisé en apiculture. Ces frictions se sont intensifiées avec l'apparition, dans les années quatre-vingt-dix, des produits phytosanitaires systémiques ou néonicotinoïdes, responsables des phénomènes d'intoxication sublétale chez les abeilles.

L'introduction en France de l'acarien parasite Varroa destructor reste aussi l'une des principales causes de l'explosion des phénomènes de mortalité. Sans compter l'arrivée d'autres prédateurs, tel le frelon asiatique, et certaines pratiques apicoles mal encadrées, à savoir le traitement du varroa. « Car c'est bien la conjonction de ces différents facteurs qui explique aujourd'hui le déclin des populations d'abeilles domestiques et sauvages », rappelle ce passionné. La France ne produit que 10 000 t de miel, contre 40 000 t dans les années quatre-vingt-dix. Quant aux abeilles sauvages, 15 % des espèces sont menacées en Europe, d'après l'Union internationale pour la conservation de la nature. Et les données scientifiques sont indisponibles pour 56 % des espèces. « Aujourd'hui, le dialogue se réinstaure entre agriculteurs et apiculteurs. » Démonstration dans ce dossier.