Il y a deux ans, lorsque Pierre Le Baillif, éleveur à Saint-Jean-du-Thenney (Eure), décide avec son père Jacques et son frère Louis d'installer une stalle robotisée, la participation du contrôle laitier dans leur projet était encore discrète. Cette époque est révolue. La casquette de leur conseiller depuis dix ans, John Scipion, a changé. Il est devenu « expert robot ».

« Le service aux éleveurs équipés de stalles robotisées prend de l'ampleur, indique Pierre. Quand j'ai émis l'hypothèse d'installer un robot, John s'est intéressé au projet. Il a notamment discuté de l'emplacement idéal de l'installation avec le technicien du constructeur. Depuis, il s'est formé et son champ de compétence s'est élargi. »

FORMER AUX ROBOTS

Afin de cibler les besoins de ces éleveurs équipés de nouvelles technologies, Littoral normand a mené une enquête en 2013. « Nous avons eu beaucoup de demandes pour des suivis spécialisés, raconte John Scipion. Deux types d'éleveurs sont ressortis : ceux qui souhaitent échanger occasionnellement avec un « expert robot », tout en conservant leur conseiller habituel. Et ceux qui ne veulent plus qu'un seul interlocuteur spécialisé. »

Sensibiliser les conseillers. Dans cette optique, France conseil élevage a mis en place des formations avec les constructeurs de robots. Tous les conseillers disposent de tables d'alimentation propres à chaque robot sur leur logiciel de rationnement, et de fiches matériel par marque. Ils apprennent à interpréter les indicateurs zootechniques essentiels de chaque logiciel et sont épaulés si besoin par les référents robots de leur département.

Trois experts robots, dont John Scipion, sillonnent la zone Littoral normand conseil élevage. Cette dernière couvre la Haute-Normandie, le Calvados et la Manche. « Nous serons huit d'ici à septembre », se réjouit John Scipion. Sur sa zone d'activité principale, dans l'Eure, plus d'une nouvelle installation de traite sur deux est un robot.

Calculer une ration différemment. La totalité des conseillers est sensibilisée aux spécifités alimentaires inhérentes à la conduite de l'élevage dont la traite est robotisée. « C'est là qu'il y a le plus de questions », estime Olivier Véron, référent chef produit nutrition chez Littoral normand conseil élevage. Car la ration à l'auge s'équilibre différemment afin de favoriser la fréquentation dans la stalle. En outre, la complémentation au robot varie selon les stades et les rangs de lactation. Un équilibre pointu qui nécessite précision et surveillance. Cette dernière passant notamment par la lecture des tableaux et des graphiques sur l'ordinateur, au bureau.

Confronter les données. Le logiciel d'un robot fournit une quantité importante d'informations. « Il y a de quoi se perdre », plaisante Pierre. Les conseillers ont dû apprendre à les lire et surtout à les traduire. Bien qu'elles aiguillent précisément sur certaines pathologies, les données n'offrent pas toujours des chiffres précis. Par exemple, le robot est capable de lancer une alerte quand une vache a un niveau cellulaire élevé, sans pour autant fournir son niveau exact. « D'où l'intérêt de relier les résultats du logiciel aux échantillons prélevés par le contrôle laitier », note Olivier Véron. France conseil élevage est en mesure d'évaluer le taux butyreux, le taux protéique, l'urée, les cellules et l'acétonémie clinique et subclinique. « Le parallèle entre nos résultats et les indications du logiciel met en exergue les soucis, explique Stanislas Desvois, conseiller spécialisé en robots à Littoral normand conseil élevage. En grattant les historiques, nous sommes en mesure de pointer des problèmes alimentaires. Par exemple, si nous constatons deux années de suite, à la même période, une chute du taux protéique ou une hausse des cellules sur plusieurs vaches, il y a de quoi s'interroger sur un éventuel problème de transition alimentaire, de fourrage, d'effet saison... » Quant à l'évaluation de l'acétonémie clinique et subclinique du troupeau, elle permet d'affiner le rationnement et de gérer plus précisément les compléments de lactation au robot.

NOUVEAUX SERVICES

Face à la mutation du besoin des éleveurs, les services proposés par le contrôle laitier évoluent. Ils s'étendent de la phase de réflexion du projet, jusqu'à l'utilisation du robot au quotidien.

Réflexion avant l'achat. « La première mesure, c'est de savoir si l'éleveur est « robot compatible », décrit Olivier Véron. Avec son technicien, il échange sur ses motivations, l'impact sur son travail et sur sa vie sociale. » Suivent des débats sur l'alimentation, l'adéquation du système fourrager, de l'accès au pâturage, du management du troupeau... L'éleveur et son technicien évoquent ensemble les avantages et les inconvénients de chaque machine et de son système de circulation selon les marques. « La première visite peut avoir lieu six mois à un an avant la mise en place de la stalle, précise John Scipion. Elle est toujours réalisée par un conseiller spécialisé en robots. »

Dix à quinze jours avant la mise en route. Le conseiller du contrôle laitier revient avec le technicien du constructeur. « Nous faisons un premier paramétrage de l'alimentation, poursuit John Scipion. Certaines marques proposent de démarrer avec une seule ration pour tout le troupeau et de l'ajuster à chaque vache quinze jours plus tard. Nous proposons aussi à l'éleveur de faire du tri pour que l'effectif à passer dans la stalle le jour J soit réduit. C'est-à-dire, tarir au maximum ou réformer rapidement les animaux qui ont de gros problèmes de locomotion. » C'est aussi l'occasion de brûler les poils des mamelles, tondre les queues...

Mise en route. « Nous n'intervenons pas forcément car c'est un jour suffisamment stressant pour l'éleveur, estime Olivier Véron. Nous lui proposons d'utiliser le service Ori-Automate. » Il lui permet de gagner du temps lors de la saisie de son historique. Le logiciel du robot se connecte à la base de données du contrôle laitier. L'échange d'informations est automatique. « C'est une demi-journée de gagnée », intervient Pierre, qui se souvient, il y a deux ans, avoir tout saisi car ce service n'existait pas.

Avant la première pesée. Toujours accompagné du technicien de la marque du robot, le conseiller effectue une première visite, un peu comme un débriefing. « D'abord, nous certifions la pesée, retrace John Scipion. Si besoin, nous reprenons les plans d'alimentation afin de les individualiser. Lors de cette visite, nous répondons à beaucoup de questions et prenons du recul sur les premières données fournies par le robot. Par exemple, l'évolution de la production par vache, les cellules, la fréquentation du robot... »

En routine. Chez Littoral normand conseil élevage, la majorité des éleveurs choisissent onze pesées par an. A la demande de l'éleveur, le conseiller a la possibilité de prendre la main sur l'ordinateur du robot. Il est ainsi en mesure de répondre à distance aux interrogations de l'éleveur en visualisant les données du logiciel. « Mais, pour l'instant, cela se fait peu », nuance John Scipion. Les résultats des adhérents sont traités en vue de sortir des statistiques et des données spécifiques aux « éleveurs robots ». « Il y a aussi des demandes de volontaires pour progresser ensemble, note Olivier Véron. Il existe déjà deux « groupes robots » d'une dizaine d'éleveurs. Un dans la Manche, l'autre dans le Calvados. » n