Nichée entre une route passante, une piste cyclable et un chemin de randonnée, la parcelle de maïs de Jean-Yves Barge ressemble à toute autre parcelle. On en oublierait même qu'elle est irrigable, seule la borne en bord de champ laisse supposer un futur apport d'eau. Pourtant, début juin, rien ne paraît encore installé. Certes, avec le temps qu'il a fait, il n'y a pas d'urgence, mais on pourrait s'attendre à voir un enrouleur prêt à être dégainé ou des rouleaux de goutte-à-goutte prêts à être déployés. Rien de tout cela, et pourtant, l'installation est bel et bien prête à fonctionner, puisqu'il s'agit d'un goutte-à-goutte enterré.

EN ZONE PÉRIURBAINE

« Mon exploitation se situe à 8 km de l'aéroport de Lyon, en zone urbaine soumise à la vue des riverains et des élus, précise Jean-Yves Barge, qui cultive et irrigue une centaine d'hectares de maïs sur les 230 ha travaillés avec Jean-Claude Sertier. Les jours ventés, ce qui arrive souvent dans notre région, il fallait arrêter l'enrouleur pour ne pas arroser les promeneurs. Sans parler des remarques du grand public... L'irrigation du maïs est politiquement incorrecte, alors que c'est essentiel dans nos régions pour sécuriser le rendement. Nous cherchions donc une technique qui permette de supprimer l'aspect visuel de l'irrigation, tout en limitant la consommation en eau. En effet, les volumes prélevables risquent d'être réduits et nous devons aller vers un système plus économe en eau, engrais et phytos. Nous avons donc décidé au printemps 2012, avec le soutien de la chambre d'agriculture et du Syndicat mixte d'hydraulique agricole du Rhône (SMHAR), de nous lancer dans le goutte-à-goutte enterré. »

Grâce à un financement du Psader (1) et du Penap (2) de 20 %, le coût supporté par les agriculteurs s'est élevé à 17 000 euros pour les 4,5 hectares. « Mais l'installation sur une parcelle biscornue comme celle-ci a entraîné un surcoût par rapport à une forme rectangulaire », précise Jean-Yves Barge. « Le coût dépend de la topographie et de la forme de la parcelle et du débit d'eau, explique Bruno Montagnon, de Netafim, la société qui a installé le matériel. Le prix varie de 4 000 à 5 500 €/ha, avec un retour sur investissement estimé entre cinq et sept ans. »

Cet investissement sera en partie rentabilisé par une économie de temps, de main-d'oeuvre (absence de pose et dépose annuelles) et d'eau, estimée à 20 %. Un chiffre « facilement atteignable », selon l'agriculteur, grâce à l'absence de pertes dues à la dérive et à l'évaporation, et à un ajustement des apports par rapport aux besoins. Netafim propose, justement, outre l'installation du goutte-à-goutte enterré, un suivi hydrique grâce au logiciel Irriwise et à des sondes positionnées au-dessus et au-dessous d'un tuyau. « Cela permet de savoir si l'eau remonte suffisamment par capillarité », précise Loïc Debiolles, de Netafim. Concrètement, un tuyau en polyéthylène (non dégradable), avec des goutteurs tous les 50 cm, est enterré à 30-35 cm tous les 1,10 mètre. L'enterrement doit être assez profond pour ne pas gêner un léger travail du sol et éviter la compaction, lors de la récolte notamment. Le choix de ce type d'irrigation demande donc de ne pas travailler le sol (lire encadré). Mais le matériel ne doit pas être trop profond non plus, pour que les racines s'approchent rapidement du dispositif et que l'eau puisse remonter par capillarité.

ÉVITER LES COLMATAGES

Sur cette parcelle de 4,5 ha, deux réseaux de 2,25 ha ont été installés pour favoriser une circulation rapide de l'eau lors de la purge, une fois par mois, et du rinçage en fin de saison. Pour le rinçage, de l'acide dilué est utilisé pour casser les agglomérats, éliminer les résidus calcaires et les bactéries qui pourraient créer des colmatages. Deux filtres à cartouche, nettoyés toutes les semaines, permettent de garantir une certaine qualité de l'eau. « Avec un bon entretien, la pérennité du système est assurée pendant au moins quinze ans, » précise Bruno Montagnon.

Pour le maïs, la micro-irrigation a été lancée en 2012, pendant 2 à 4 heures par jour avec un débit de 1,3 mm/h. Lors de la première année d'utilisation, la consommation d'eau par enrouleur et par goutte-à-goutte enterré a été comparée. Le résultat est sans appel : 204 mm en six tours de 34 mm ont été utilisés avec le canon, contre 124 mm en trente-trois jours avec le goutte-à-goutte enterré. Cependant, 44 mm ont été consommés pour détecter les fuites du réseau. On peut donc considérer une baisse de consommation totale d'eau de 25 %, mais le pilotage de l'irrigation reste encore à affiner. « Les fuites se gèrent bien, estime l'agriculteur. Elles peuvent apparaître après l'installation, sous forme d'une tache d'humidité au sol. On creuse alors tout simplement, puis on remplace la partie défaillante. » L'autre avantage, c'est la ferti-irrigation, qui permettrait d'économiser de l'engrais, mais cela est « difficile à quantifier, estime Loïc Debiolles. Il est conseillé de réaliser 30 % des apports totaux d'azote au semis, et les 70 % restants en ferti-irrigation. » Reste le problème du foncier. Pour Jean-Yves Barge, qui est propriétaire de sa parcelle, le problème ne se pose pas. Mais il faut s'assurer que la parcelle ne change pas de destination. « Il faut trois campagnes pour bien prendre l'outil en main, maîtriser les électrovannes, la ferti-irrigation, faire le suivi hydrique du sol... Parfois, je m'inquiétais en ne voyant aucune trace d'humidité sur la parcelle, alors que l'irrigation était lancée. Je prenais alors la pioche pour vérifier, et tout fonctionnait très bien. Le but serait de développer cette technique sur d'autres parcelles. »

(1) Projet stratégique agricole et de développement rural. (2) Protection des espaces naturels et agricoles périurbain.