Le contrôle des structures est un outil de régulation du foncier qui soumet des opérations d'installation, d'agrandissement et de réunion d'exploitations à autorisation ou déclaration préalable d'exploiter.
Quatre objectifs lui sont assignés aujourd'hui : favoriser l'installation (objectif prioritaire), empêcher le démantèlement d'exploitations viables, favoriser l'agrandissement d'exploitations de dimension insuffisante et permettre ou consolider l'installation de pluriactifs dans certains cas.
Ce contrôle a été sacralisé par les lois de 1960 et 1962 qui donnaient clairement la priorité à l'exploitation familiale basée sur le travail de deux personnes. Cet encouragement était déjà à l'oeuvre dans la loi sur le statut du fermage institué en 1946, qui allait donner aux fermiers la stabilité indispensable pour moderniser l'agriculture.
En réalité, dès les années 1920, les grands domaines avec salariés ont périclité, comme le feront les exploitations trop petites pour avoir accès au financement. La politique des structures des années 1960 va renforcer les exploitations à 2 UTH, favorisant le départ des exploitants âgés, en encourageant la reconversion de ceux qui veulent quitter ce métier et en limitant l'agrandissement des exploitations à travers la réglementation sur le cumul.
Elle découragera aussi la petite agriculture en écartant des soutiens les projets qui n'atteignent pas la SMI, surface minimale d'installation supposée nécessaire pour atteindre un revenu minimal de référence. Au final, le nombre d'exploitations passera de 2,3 millions en 1955 à 490.000 en 2010 (1). La surface moyenne grimpera de 13 ha à 55 ha.
Enfin, le prix du foncier restera jusqu'à ce jour l'un des plus bas d'Europe (voir le graphique ci-dessous). Le prix des fermages sera aussi contenu. Sans ignorer cependant les pratiques de pas-de-porte qui se sont accrues et répendues malgré leur illégalité.
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Plusieurs vitesses
Revenons aux années 1970 : elles connaîtront l'apogée de cette politique des structures, qui organise à la fois la modernisation des exploitations et l'exode rural. A partir des années 1980, son strict cadre national sera décliné au niveau départemental. Certains départements resteront très fermes sur son application.
Dans le Grand Ouest, cela expliquera la poursuite du développement de l'agriculture hors-sol. Dans les départements du Nord, son application sera plus souple. Henri Bies-Péré, président de la FRSEA de l'Aquitaine et responsable de la commission de la gestion des territoires à la FNSEA, souligne : « Tout le monde n'a pas la même notion de l'agrandissement. » (2)
La réforme de la Pac en 1992, qui instaure les aides à la surface, va redonner au foncier un rôle de premier plan que l'intensification avait atténué. Le contrôle des structures se resserre en 1999, en particulier sur les transferts de parts sociales. Six ans plus tard, le balancier des réformes part dans l'autre sens.
Le courant libéral va imprégner la loi de 2006, ôtant toute réalité aux contrôles sur les parts sociales et sur les successions et reprises familiales élargies au troisième degré. Bientôt, il ne s'exercera plus vraiment que sur les structures individuelles et les petites surfaces. Tous les observateurs le soulignent : aujourd'hui arrivent en CDOA des demandes d'exploitation sans concurrence, avec un seul candidat à la reprise.
Les autres repreneurs potentiels ont été découragés avant ou ne sont pas au courant des terres à louer qui se libèrent. De 50.000 opérations annuelles soumises à autorisation préalables avant 2006, nous sommes tombés à 35.000 (dont 5.000 concernent l'installation).
L'information manque
Henri Bies-Péré le déplore : « Nous ne sommes plus au courant des transactions. Nous voudrions regarder de plus près les mouvements de parts entre associés, les transmissions en famille. » Car les reprises pour exploitation familiale se sont multipliées sans souci du déséquilibre causé chez le précédent fermier.
« Nous n'avons rien à redire sur les reprises pour exploiter personnellement. Sauf si cela met en péril l'exploitation du fermier. Nous observons aussi que certaines ETA (entreprises de travaux agricoles) travaillent pour plusieurs familles sur 400 à 600 ha en Aquitaine. Dans les zones céréalières, elles peuvent contrôler 1.500 à 2.000 ha.
Comment alors conforter certaines exploitations trop petites et installer des jeunes surtout hors cadre familial ? », argumente-t-il. Hubert Cochet, chercheur à AgroParisTech (voir l'entretien), constate aussi ce phénomène : « D'une agriculture familiale qui réunit capital, travail et foncier (en propriété ou en location), on glisse vers une agriculture avec travail salarié ou délégation des travaux à des ETA, voire des Cuma dont les statuts ont été assouplis. »
La création du bail cessible en dehors du cadre familial tout comme le fonds agricole ont ouvert une brèche vers la libéralisation partielle des fermages, à la reconnaissance des pas-de-porte... La loi de 2006 a aussi donné une légalité aux assolements en commun.
Regarder le projet économique
Pour Josian Palach, de la Confédération paysanne, la solution doit être radicale : « Nous voulons une publicité obligatoire sur toutes les transactions. Pour les biens de famille, si nous sommes d'accord pour concéder une priorité, il faudrait malgré tout comparer les projets économiques du fermier en place et du repreneur. »
Du côté de la FNSEA, on demande au minimum un contrôle du projet économique si le fermier en place conteste le congé et idéalement le retour au régime de l'autorisation préalable d'exploiter. Autre son de cloche à la Coordination rurale, où « privilégier les logiques familiales semble logique » à Bernard Lannes, son président.
L'ampleur des parts sociales
Mais c'est sur les sociétés que se retrouvent tous les acteurs syndicaux. Ils réclament de la transparence sur le transfert des parts sociales. C'est devenu un enjeu majeur de la politique des structures vu le développement des sociétés en agriculture : elles occupent 58 % de la SAU en 2010, contre 19 % en 1988 (1).
Thomas Diemer, responsable du dossier foncier chez Jeunes Agriculteurs, réclame un article dans la loi d'avenir : « Lorsqu'un jeune s'installe au sein d'une société avec deux associés plus âgés, il faut exiger de cette société qu'elle garde ses associés un nombre d'années à définir pour éviter tout détournement », propose-t-il.
Le chiffre de cinq ans est souvent évoqué. Le contrôle des parts sociales en lui-même est délicat : il est difficile de s'opposer aux cessions de parts. Il est impossible, pour cause d'« affectio societatis », d'imposer en CDOA un associé dont les autres membres ne voudraient pas.
Mais les syndicats aimeraient être au courant des mouvements de parts sociales pour savoir qui fait quoi. Cette déclaration découragerait, selon les professionnels, les tentatives de contournement du contrôle, en particulier par les prises de participation dans plusieurs sociétés (lire l'encadré loi d'avenir).
Le choix du repreneur
Enfin, comment en CDOA trancher entre plusieurs candidats à la reprise ? « Il faut viser les jeunes aidés qui ont suivi le parcours à l'installation, qui ont la capacité professionnelle et un projet économique valide. Nous ne voyons pas de difficulté à optimiser les structures mais il faut limiter les dérives. »
La Confédération paysanne s'inquiète des exigences actuelles des CDOA en termes de projet économique. Josian Palach s'explique : « Depuis 2006, le rehaussement du seuil de l'UR (unité de référence) de 0,5 à entre 1 et 2 UR pousse à la concentration. Au minimum, il faut arrêter ce laxisme et revenir à 0,5 UR.
D'autant que ce calcul fait référence clairement aux seules installations aidées, soit un tiers des cas. Cela devient plus difficile de trouver quelques hectares que 50 ha. Les installations de hors-cadres deviennent impossibles.
On se focalise sur l'artificialisation du foncier. Mais les premiers prédateurs, ce sont les agriculteurs eux-mêmes entre agrandissements, usage du sol non alimentaire, « céréalisation ». Le contrôle des structures rénové doit favoriser une agriculture paysanne : taille raisonnable, transmissible, viable économiquement et surtout vivable. »
Un outil d'une autre époque
Si la plupart des représentants de la profession sont pour un toilettage plus ou moins poussé du contrôle des structures, ce débat est surréaliste pour la Saf (Société des agriculteurs de France). « C'est un outil d'une autre époque, estime Laurent Klein, son président. Cette rénovation est hors des réalités. On peut avoir une petite exploitation et être performant ou être grand et déficitaire.
Le défi est d'imaginer les outils pour les quarante prochaines années qui accompagneront l'agriculteur dans sa logique d'entrepreneur au lieu de le museler et de lui donner toujours plus de contraintes. Qu'est-ce que la CDOA a à voir avec la création de ma société laitière, par exemple ? Plus que le foncier, c'est le projet qui compte.
Libérons l'initiative des entreprises. Orientons-nous vers un modèle qui réponde aux impératifs du marché, de la mondialisation. C'est aussi une question d'égalité des chances car il y a trop de différences d'un département à l'autre. » Pour lui, il n'est pas nécessaire de maintenir entre les mêmes mains capital, travail et terres. »
Rediviser les exploitations
Au final, c'est la question de la transmission des grandes structures, familiales ou non, qui resurgit : faut-il revenir à des exploitations avec moins de capital mais transmissibles sans faire appel à des capitaux extérieurs ? Quid de la propriété du foncier ?
Aujourd'hui, 78 % des terres sont en fermage. La terre n'a jamais été aussi concentrée entre les mains des familles d'agriculteurs qui détiendraient 80 % des terres agricoles (3). Près de la moitié des terres appartient à des retraités agricoles qui louent leurs terres à leur successeur potentiel. Les associés en détiendraient 15 % et les mettraient à disposition de leur société (2).
A l'heure où partout dans le monde, de grandes fortunes, des fonds d'investissements ou des États se ruent sur le foncier, la question sur les investissements extérieurs à l'agriculture resurgit en France. Les syndicats minoritaires y sont opposés pour ne pas voir échapper le pouvoir des agriculteurs sur leur outil de travail.
Selon Bernard Lannes, « les terres doivent revenir à ceux qui la travaillent et servir à installer les jeunes. Notre pire crainte, ce n'est pas tant la taille des exploitations mais l'arrivée d'investisseurs extérieurs ou encore le risque de voir les terres échapper à l'alimentation. »
Il ne serait pas contre davantage de souplesse dans le statut du fermage pour que le propriétaire « y trouve un peu son compte ». Henri Biès-Péré s'interroge : « Nous ne pourrons pas éviter tous les apporteurs en capitaux. Pourquoi refuser de s'interroger sur la question à l'heure où du foncier est repris par des investisseurs qui ensuite le détournent de l'agriculture ? »
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(1) Source : Agreste recensement 1988 et 2010.
(2) Les départements ne partent pas sur les mêmes bases . A titre d'exemple en 2010, la surface moyenne du Tarn approche les 50 ha quand elle dépasse 100 ha dans la Somme.
(3) Source AGTER.