Lorsqu'on parle d'agriculture de conservation, il s'agit bien de préserver, voire d'améliorer, les propriétés physiques, chimiques et biologiques du sol. C'est d'ailleurs souvent pour remédier à une diminution du taux de matière organique ou à un problème d'érosion, de compaction ou de battance que le changement de système de culture s'effectue. Il s'identifie essentiellement par trois pratiques : la réduction du travail du sol, la couverture permanente grâce à des couverts végétaux et une longue rotation. Les effets de ces pratiques sur les propriétés du sol sont directs.
Matière organique en surface
Selon les travaux du Casdar sur les techniques très simplifiées d'implantation des cultures, effectués entre novembre 2008 et janvier 2012 en Midi-Pyrénées, le taux de matière organique est sensiblement le même sur 30 cm, quelle que soit la conduite. En revanche, une nouvelle répartition sur l'horizon est observée avec une hausse de la teneur en surface. Ainsi, que ce soit en sols argileux ou en boulbènes, depuis dix ans, il y a 1 % de plus sur l'horizon 0-10 cm pour un non-labour ou un semis direct par rapport à un labour. Le stock de carbone organique est également plus important en sol peu ou pas travaillé. « L'accroissement annuel du stock de carbone en semis direct ou avec un travail du sol réduit à quelques centimètres est évalué à une tonne de carbone par hectare et par an », selon les calculs du Casdar.
Vie biologique quatre à cinq fois plus riche qu'en conventionnel
Réduire le travail du sol et pratiquer la permaculture (couverture permanente du sol) va favoriser la vie du sol et notamment les vers de terre (lire l'encadré), les champignons et les bactéries. Elle sera quatre à cinq fois plus riche qu'en conventionnel car les organismes sont nourris sans être dérangés.
Selon Daniel Cluzeau, de l'université de Rennes, les micro-organismes vont alors attaquer les cellules végétales puis les collemboles cisailler les résidus organiques, ce qui permet aux larves de diptères d'élargir les ouvertures. Ainsi les vers de terre pourront ingérer ces résidus et les tirer dans leurs galeries, tout en rejetant leurs déjections à la surface. La matière organique fraîche s'incorporera alors peu à peu dans le sol.
Les galeries permettent aussi de meilleurs échanges gazeux, une meilleure aération du sol, une infiltration de l'eau plus rapide (soit une limitation de l'érosion et du ruissellement), une meilleure capacité de rétention de l'eau (grâce à la meilleure redistribution de l'eau dans tous les profils par les interconnexions entre galeries) et donc un ressuyage plus rapide. Les galeries créent aussi des passages préférentiels pour les racines des cultures, qui profitent des déjections riches en éléments disponibles laissées par les vers de terre.
« Il faut également signaler que les vers de terre participent très activement à l'homogénéisation des teneurs en éléments du sol, précise Daniel Cluzeau. Ainsi, le phosphore, réputé très peu mobile, le devient lorsqu'il entre dans le tube digestif d'un ver de terre et peut être ensuite réparti dans le profil ou remonté à la surface. » Cette activité biologique va aussi favoriser la minéralisation et rendre davantage assimilables les éléments nutritifs pour les plantes.
L'ensevelissement de la matière organique et le recyclage rapide participent aussi à réduire la présence de certains ravageurs, mais aussi de maladies (fusariose, mycotoxines), en favorisant la décomposition du support des champignons pathogènes.
Meilleure infiltration de l'eau
La présence de matière organique et de couverts en surface, qui jouent un rôle d'éponge, permet de diminuer les risques d'érosion (éolienne et hydrique) et de ruissellement, mais aussi d'augmenter la capacité de rétention en eau du sol. Ainsi le semis est toujours réalisé dans un sol un peu humide dans des systèmes en semis direct (SD).
On a vu plus haut que les galeries des vers de terre jouent aussi un rôle essentiel dans la gestion de l'eau. Mais si l'infiltration est facilitée, qu'en est-il des flux de nitrates et de glyphosate en profondeur ? Dans des essais de la chambre d'agriculture de Lorraine, des bougies poreuses installées à 1,5 m de profondeur ont permis de suivre les flux de molécules en semis direct sous couvert végétal (SDCV) et en labour, en appliquant les mêmes doses.
Pour les nitrates et le glyphosate, il y a moins de fuite en SDCV par rapport au labour. « A la deuxième ou troisième année d'observation, le volume d'eau dans les bougies était dix fois plus important en SD qu'en labour, précise Jean-Luc Forrler. Le plus impressionnant est que, même s'il y a davantage d'eau, elle oublie d'emporter les matières actives. » L'effet mulch et l'activité biologique supérieure en SDCV permettraient une meilleure rétention dans le sol par adsorption, ainsi qu'une meilleure dégradation des résidus de pesticides. Attention, si la dose est importante, plus de résidus phyto se retrouveront en profondeur en SD, mais toujours moins qu'en labour. Idem pour les traitements effectués juste avant l'hiver, qui seront plus vite lessivés et qui n'auront pas eu le temps d'être adsorbées par la matière organique et dégradés. Toutefois, en SDCV, il y a moins d'interventions en automne. Le ressuyage s'effectue plus rapidement. Les couverts (grâce notamment à leur trame racinaire) et les résidus de récolte favorisent également la portance du sol, freinent la compaction et les tassements. La vie biologique du sol favorisera aussi l'aération du sol.
Température plus faible
Selon des essais réalisés dans le Finistère, quel que soit le climat de l'année, il y a 1 °C de moins dans un sol en SDCV par rapport au conventionnel et la température fluctue beaucoup moins entre le jour et la nuit. « En ne travaillant plus le sol, l'air chaud a plus de difficultés à entrer, explique Jean-Luc Forrler. Il faut donc adapter l'itinéraire en avançant la date de semis, ainsi que la fertilisation azotée, afin de favoriser la levée. Un traitement insecticide sur la semence peut aussi permettre de gagner de la vigueur au départ. » En effet, les champignons microscopiques qui réapparaissent en SD détruisent la matière très ligneuse mais peuvent aussi attaquer la semence. Un traitement de semence et une densité plus importante peuvent donc compenser la perte à la levée.
Chauler avant la conversion
L'activité microbienne est favorisée par des pH entre 6,5 et 7,5. Jean-Luc Forrler conseille donc de chauler avant la reconversion en agriculture de conservation. Après, il y aura un effet tampon. « Une fois qu'on est en SDCV, si le pH baisse, c'est qu'il y a un problème, estime-t-il. La vie biologique du sol passe de 2 t/ha à 12 t/ha en trois ans et il faut, pour maintenir cette vie, la nourrir en apportant 4 à 5 t/ha de matière sèche par les résidus de culture et les couverts. S'il n'y a pas assez de nourriture, le système peut s'effondrer et l'acidité arriver.