En juin 2011, la révolte contre la hausse des prix alimentaires et les inégalités sociales a pris un aspect insolite en Israël : l'appel au boycott du fromage blanc. Aliment de base du régime israélien, le pot de 250 g était annoncé en hausse de 35 %, à 8 shekels (1,65 euro). Pour la première fois depuis l'existence d'Israël, sa population a pointé du doigt un secteur agricole considéré comme l'activité pionnière sioniste fondatrice. Cette « révolution du Cottage », du nom de ce fromage, a abouti à un plan de restructuration sur six ans : normes environnementales et agrandissement des unités de production sont les principaux axes de la réforme.

La transition s'est faite sans délai : le nombre d'exploitations laitières est passé de 1 400 en 2000, à moins de 800 en 2012. Avec 1,25 milliard de litres de lait, le volume de production s'est maintenu. Tout comme les performances du secteur. « Nous venons de battre un nouveau record, avec une vache qui a produit, en deuxième lactation, 21 400 litres de lait », rapporte fièrement Isaac Kiriaty, directeur du département agriculture de l'Institut d'exportation d'Israël. Soufa (tempête) est une holstein âgée de cinq ans du kibboutz de Karmya (qui jouxte la bande de Gaza), également félicité pour son rendement annuel moyen, avec 13 976 litres de lait par vache. La production de lait en Israël est la meilleure au monde, avec une moyenne de 12 000 litres par vache. Un résultat en hausse de 50 % depuis 1960 grâce à des essais génétiques de l'institut Volcani (centre de recherche du ministère de l'Agriculture) et ses cultures de sperme et ovaires d'animaux de haute qualité. Des performances affichées dans tous les secteurs de production agricole.

COLLECTIVISME CAPITALISTE

Ce lien intime avec les scientifiques a aussi conditionné les structures des exploitations. Lorsque les premiers sionistes immigrent en Palestine, ils sont scientifiques, chercheurs, médecins et ingénieurs. Dans les pays d'où ils venaient, les Juifs n'avaient pas le droit d'être agriculteurs. Il a alors fallu changer la structure de la société et créer une classe rurale qui n'existait pas. Les kibboutzim ont donc été conçus davantage par nécessité et dans un souci d'efficacité que par idéologie.

Avant la création d'Israël, les kibboutzim s'installaient sur des terres achetées. Après l'indépendance, l'État a confisqué les terres des réfugiés palestiniens (et parfois aussi celles des Arabes palestiniens restés en Israël). Devenues propriété collective de l'Etat, elles sont données à exploiter aux kibboutzim via des baux de 99 ans. Selon le principe initial du kibboutz, chacun reçoit sa terre, sa maison, son salaire et partage les outils de travail. Aujourd'hui, ce collectivisme « égalitaire » est remis en cause. Le nouveau kibboutz pratique une politique différentielle de salaires et a recours à une main-d'oeuvre étrangère (Thaïlandais). Et beaucoup de ses membres sont employés à l'extérieur. Il y a moins de socialisme mais plus de bio : 1,5 % de la production agricole est biologique ainsi que 13 % des exportations agricoles.

La vocation agricole des kibboutzim n'en est pas moins révolue (15 % des membres seulement y sont encore affectés). Après la crise économique des années 1970-1980, les kibboutzim ont dû réorganiser en profondeur leurs activités économiques vers des secteurs plus porteurs comme l'industrie, le tourisme et les services. Le tourisme rural se développe de plus en plus. Aujourd'hui, leur revenu provient en majorité de l'industrie. Les kibboutzim détiennent 350 usines, dont certaines cotées en bourse !

En agriculture, cette diversification a conduit à une spécialisation des exploitations, à l'image du kibboutz Tzora qui se consacre dorénavant à l'élevage laitier (lire l'encadré). Toutes les céréales consommées sur la ferme proviennent des 140 ha du kibboutz voisin. « L'idée de départ était que les fermes produisent elles-mêmes leur alimentation et puis, finalement, c'est l'inverse qui se pratique », reconnaît Dan Levana, gérant de Tzora. Les kibboutzim étaient en effet conçus pour être totalement indépendants : au centre se déployaient les édifices communs tels que réfectoire, auditorium, bureaux et bibliothèque, entourés par des jardins et les maisons de leurs membres. Les champs, vergers et bâtiments industriels s'étendaient en étoile, à la périphérie.

Animés par un souci permanent d'efficacité, les kibboutzim s'adaptent sans s'embarrasser d'idéologie. L'esprit d'entreprise collective compte pour beaucoup et contribue à la création et à la maturation de communautés qui réussissent économiquement sur le marché libre. Près de 10 % de l'économie israélienne est basée sur les kibboutzim. Le niveau de vie élevé aujourd'hui favorise aussi leur maintien. Et même si les kibboutzim ne sont plus considérés comme un modèle à atteindre, l'institution a de beaux jours devant elle. On parle d'un retour au kibboutz. Les jeunes retrouvent l'esprit des fondateurs et réalisent le rêve de Ben Gourion, peupler et cultiver le désert du Néguev.