L'année 2011 a été atypique au niveau climatologique et a affecté l'efficacité des engrais azotés (lire « Bilan de 2011 : peu de jours disponibles pour fertiliser »). Toutefois, il n'est pas question de remettre en cause le fractionnement de la dose d'azote tant qu'il n'y a pas de données plus fiables sur le long terme concernant les prévisions saisonnières.
« Le fractionnement des apports du plein tallage jusqu'au stade de la dernière feuille permet d'assurer une alimentation en azote quand la plante en a le plus besoin », assure Arvalis. Il permet aussi l'exploitation de plusieurs dates pour minimiser les risques de mauvaise valorisation.
« Le stade des plantes reste un bon repère pour déclencher les apports d'engrais azoté, confirme Jean-Pierre Cohan, spécialiste de la fertilisation à l'institut technique. Les besoins du blé au cours du tallage sont faibles, il est donc préférable de limiter la dose de ce premier apport, soit 40 unités au maximum, de façon à garder suffisamment d'azote pour des stades ultérieurs (épi à 1 cm et montaison) où il sera plus utile.
En règle générale, une proportion de 70 à 80 % de l'azote est absorbé entre le redressement et la floraison. Durant la montaison, cela correspond à des besoins de 2,5 unités d'azote par hectare et par jour (un peu moins à basse température au début de la montaison).
15 mm de pluie dans les quinze jours suivant l'apport
L'apport au tallage a pour rôle d'accompagner le redémarrage du blé mais l'azote n'est pas suffisant. Le temps doit aussi être un peu poussant. Si l'élément minéral est apporté trop tôt en février, une partie risque d'être perdue.
Mieux vaut donc attendre que l'hiver se termine pour sortir l'épandeur à engrais afin que le démarrage de la montaison de l'épi ne se réalise pas en conditions limitantes.
Néanmoins, l'an dernier a montré l'importance de la pluie après l'apport pour en assurer une bonne valorisation par la plante. Ainsi, la date effective doit prendre en compte les prévisions de précipitations, « ce qui peut conduire à avancer ou retarder l'intervention de quelques jours », précise Jean-Pierre Cohan.
Le mieux est de cumuler 15 mm de pluies dans les quinze jours après l'apport, et ce quelle que soit la forme d'engrais utilisée et l'état de sécheresse de la surface du sol au moment du passage de l'épandeur ou du pulvérisateur. Sinon, les risques en termes de carence ou de pertes par volatilisation de l'engrais deviennent importants.
Mars souvent sec
Il est donc recommandé de s'informer sur la pluviosité habituelle de sa région et de consulter les prévisions météo avant de décider de l'opportunité d'un apport d'azote en cours de campagne.
Les analyses fréquentielles climatiques montrent qu'une période moins pluvieuse est souvent observée au mois de mars, notamment dans le Grand Ouest et le Sud-Est, laissant peu de jours aux agriculteurs pour passer dans de bonnes conditions. Avril et mai sont en général plus arrosés.
« Le pilotage du troisième apport à la fin de la montaison est aussi conditionné par les pluies qui suivent, sachant qu'en avril-mai, il s'agit davantage de pluies orageuses », ajoute Christine Le Souder, d'Arvalis.
Cela peut conduire à adapter le fractionnement lors de l'apport du début de la montaison. Cette adaptation est d'autant plus importante pour les formes d'engrais susceptibles de subir des pertes importantes par voie gazeuse en situation de mauvaise absorption, comme par exemple la solution azotée (lire « A chaque forme, son efficacité »).
Lorsque des périodes s'avèrent régulièrement défavorables dans certaines zones de production en termes de pluviosité, elles doivent si possible être évitées, même si le stade repère intervient à ce moment-là. Tout dépend bien sûr de la dose totale calculée.
« Il ne faut pas focaliser sur la date calendaire du stade de l'épi à 1 cm, confirme Anne-Monique Bodilis, ingénieur régional d'Arvalis dans les Pays de la Loire. Il n'y a pas de risques à avancer l'apport du début de la montaison de plusieurs jours. »
Par exemple, si 40 unités sont apportées au tallage à la mi-février, l'apport suivant peut intervenir dès le début de mars. En cas d'impasse au tallage, un passage peut être réalisé dès la fin de février à une dose plus conséquente.
« Si l'apport central au stade de l'épi à 1 cm dépasse 100 unités (120 u par exemple), il est possible de le fractionner en deux fois en anticipant de quinze jours le premier passage (70 u) et en mettant le complément (50 u) au stade de l'épi à 1 cm, voire un peu après selon la pluviométrie annoncée. »
« Si les conditions sont humides, rien ne sert d'avancer les apports car l'azote est toujours mieux valorisé sur les apports tardifs », précise toutefois Jean-Paul Prévot.
L'impasse au tallage peut être réalisée selon l'état végétatif des cultures en sortie hiver et selon la densité de tiges. Cela dépend aussi du type de sol. « Dans les sols à forte teneur en matière organique ou recevant régulièrement des engrais organiques, les plantes peuvent se passer de cet apport », explique Jean-Paul Prévot, ingénieur régional dans la région Nord-Picardie.
En revanche, pour les parcelles chétives, en rotation céréales ou dans des sols à faible disponibilité, mieux vaut ne pas se passer de ce passage courant février. Il est possible de le vérifier grâce à l'observation de la bande à double densité si elle a été prévue au semis. Ou encore en appliquant de l'azote dans un coin de la parcelle pour voir si ça marque.
Que faire dans le contexte météo actuel ?
Il reste que, cette année, le tallage des blés est déjà très important (plus de 5 talles en moyenne) alors que le stade de l'épi à 1 cm n'est généralement pas encore atteint.
Certains jaunissements peuvent apparaître, ce qui est normal au vu des biomasses et des quantités d'azote absorbées, ainsi que le manque de rayonnement intervenu au début de janvier. Mais les cultures manquent forcément d'azote.
Seule la mesure des reliquats pourra le dire (lire « Des reliquats potentiellement élevés »). Dans ce contexte, tous les spécialistes s'accordent à dire qu'il ne faut pas s'affoler. « C'est plutôt bon que les blés soient stressés », lance Anne-Monique Bodilis.
Il vaut mieux retarder le premier apport. L'objectif est de rationner les cultures dès maintenant et faire régresser quelques talles. L'azote apporté ne ferait qu'entretenir des talles secondaires qui ne donneraient pas de beaux épis.
Les parcelles risquent de jaunir un peu mais elles seront moins exubérantes, ce qui limitera le risque de verse et le développement trop important des maladies.
« En revanche, les stades risquent d'être encore avancés au moment du début de la montaison, il faudra donc en tenir compte pour bien positionner les apports », remarque Jean-Paul Prévot.
Des reliquats potentiellement élevés
La campagne de mesures des reliquats azotés débute à peine. Il s'agit d'évaluer l'azote minéral présent dans le sol après la récolte de la culture précédente mais aussi la minéralisation de l'humus, de la partie organique des apports d'effluents d'élevage et des résidus de cultures.
S'il est encore difficile d'évaluer ces reliquats à la sortie de l'hiver, les conseillers sur le terrain estiment d'ores et déjà que les quantités d'azote disponibles en 2012 dans le sol pourraient être élevées, et ce contrairement aux deux années précédentes.
La pluie et les températures douces ont en effet permis une minéralisation forte et continue, aussi bien en automne qu'en hiver. De plus, il pouvait y avoir une quantité non négligeable d'azote minéral disponible dans le sol vu la mauvaise efficience des engrais au printemps dernier.
« Il y a eu près de 200 analyses de reliquats entrée hiver sur notre zone, informe Thierry Savoie, conseiller à la chambre d'agriculture de l'Eure-et-Loir. Elles montrent que l'azote est présent dans les parcelles, puisqu'on arrive facilement autour de 70 à 80 unités d'azote, essentiellement dans les trente premiers centimètres du sol. »
Mais les dernières pluies ont pu toutefois entraîner une partie de l'élément et les conditions météorologiques à venir pourraient encore modifier les quantités d'azote disponibles dans le sol. Au vu des prix des engrais, il y aura donc encore une fois tout intérêt à déterminer les reliquats azotés disponibles pour les plantes.
Bilan de 2011 : peu de jours disponibles pour fertiliser
Sur la période de montaison des céréales, 2011 a été la plus sèche des vingt dernières années. En mars, les producteurs, notamment au nord et à l'ouest du territoire, ont eu moins de douze jours pour permettre une bonne valorisation des apports d'azote sur blé. En avril, la situation a empiré puisqu'il n'y a eu que six jours disponibles sur une bonne partie de la France. En mai, les zones Nord, Ouest, Sud-Ouest, Centre et Est ont de nouveau été affectées. En revanche, le Sud-Est a pu compter sur le climat pluvieux favorisant les apports tardifs.Dans ces conditions, les engrais ont présenté une moindre efficience, d'autant que des pertes par volatilisation ont été courantes avec l'emploi de solutions azotées (lire « A chaque forme, son efficacité »). Une absorption tardive a parfois eu lieu, notamment avec de l'azote sous forme d'ammonitrates, dès le retour des pluies en juin, ce qui a parfois permis de rattraper en partie le rendement et d'avoir un meilleur taux de protéines dans le grain. Mais des dégâts irréversibles ont toutefois été observés. Arvalis tient à rappeler que 2011 fait partie des années hors normes qui ne donnent pas lieu à des modifications de stratégies, notamment en termes de fractionnement.
Des plantes plus efficaces dans l'utilisation de l'azote
Une équipe de l'Inra de Montpellier, en collaboration avec des équipes du CNRS à Strasbourg et de l'université de New York, ont caractérisé un gène impliqué dans un mécanisme moléculaire qui permet d'ajuster le prélèvement du nitrate du sol par les racines en fonction du besoin en azote de la plante entière.
« Pour assurer leur nutrition, les plantes prélèvent le nitrate du sol (NO3-), principale source d'azote des plantes herbacées, par les racines, précise l'Inra. Ce phénomène est rendu possible grâce à des transporteurs très efficaces qui permettent le passage du nitrate à travers les membranes des cellules de la périphérie de la racine. »
Toutefois, comme la disponibilité du nitrate du sol est hétérogène et varie dans le temps et dans l'espace, les cultures doivent toujours moduler cette capacité d'absorption afin de maintenir une entrée de nitrate adaptée aux besoins de la plante.
Cela est possible grâce au mécanisme de « satiété » commandé par le gène découvert par les chercheurs de Montpellier chez la plante modèle Arabidopsis thaliana. Ces recherches devraient faciliter la sélection de variétés ayant une meilleure utilisation des engrais azotés.
« Une des perspectives à long terme est de rendre la plante capable d'accumuler l'azote même lorsque ses besoins nutritionnels immédiats sont satisfaits pour le remobiliser plus tard », détaille l'Inra.