Que se passera-t-il dans la nuit du 30 novembre 2011 au 1er décembre 2011 si les éleveurs livrant leur lait à Lactalis ne signent pas la proposition de contrat qui leur a été envoyée ? Rien, a priori.
Toutes les organisations syndicales appellent d'ailleurs les éleveurs à ne pas céder à la pression. Elles assurent que la relation historique qui lie aujourd'hui les producteurs à leur laiterie les protège davantage que les documents soumis à leur signature.
Si Lactalis est sous les feux de la rampe, c'est bien parce qu'il a envoyé aux éleveurs une seconde version de son contrat, à la fin d'octobre 2011. Et ce après avoir refusé de reconnaître les organisations de producteurs (OP) avec lesquelles il a négocié.
Ou tout du moins de formaliser cette reconnaissance sous forme d'un contrat-cadre signé par Lactalis et l'OP. C'est ce que ces OP appellent la signature tripartite. L'éleveur signerait aussi un contrat d'application avec l'industriel faisant référence au contrat-cadre.
« Cette deuxième version du contrat n'est pas équilibrée, insiste Franck Guéhennec, coordinateur des groupements Lactalis. Elle fige la situation pour cinq ans. Il ne faut pas le signer. »
Ce point de vue, tout le monde ne le partage pas. « C'est à chaque éleveur de se positionner, répond Denis Tandé, président des “ex-Bridel”. Le contrat a bien été amélioré par nos soins. Il ne se signe pas à trois mais à deux. Et ce n'est pas pour ça que le groupement n'interviendra pas par la suite pour défendre les éleveurs. L'appel à ne pas signer est un manque de confiance vis-à-vis de l'entreprise. »
Maintenir la pression
En attendant, les OP qui défendent la signature tripartite sont bien décidées à utiliser tous les moyens à leur disposition. Mercredi, de nouveaux contacts ont été pris avec Lactalis pour le convaincre de revenir sur sa position. Si le transformateur campe sur sa position, il y a fort à parier que les OP feront appel au bon sens des producteurs, et au médiateur mis en place par le ministre de l'Agriculture pour régler ce genre de conflit.
« La difficulté est que nous avons deux chantiers à conduire de front, reprend Patrick Ramet, de la FNPL. Celui des OP et celui de la contractualisation. Il aurait été plus logique de publier le décret sur les OP d'abord. Lactalis a du mal à accepter qu'il a en face de lui des producteurs organisés, qui ont donné un mandat de négociation à leur représentant. »
Sur le terrain, il est aussi reproché à la FNPL de défendre des OP par entreprise et commerciales. « Lactalis ne veut pas d'OP transversale et commerciale, reprend Patrick Ramet. Mais personne n'en veut. La réalité, c'est que les gens sont attachés à leur entreprise. Commençons par là. Nous verrons ensuite si nous arriverons à aller plus loin. Avec la négociation, les éleveurs touchent du doigt ce qu'est un contrat, un engagement écrit. »
Ce qui manque aujourd'hui, c'est bien le décret définissant les droits des OP. « Quoique l'entreprise écrive, ce n'est pas valable parce qu'il nous manque toujours ce texte, lance Daniel Condat, président de l'Organisation des producteurs de lait (OPL). Les pouvoirs publics nous ont mis dans la mouise en publiant d'abord le décret sur la contractualisation. Ils ont livré les paysans à l'industrie. »
L'attitude du premier groupe laitier français apporte aussi de l'eau au moulin de ceux qui défendent des organisations de producteurs transversales. C'est-à-dire interentreprises. « Ce qui se passe avec Lactalis est la preuve qu'il ne faut pas d'OP verticales, insiste Paul de Montvalon, président de France Milk Board (FMB). A la première sortie de route, le transformateur reprend la main. Mais comment voulez-vous qu'un privé accepte de négocier avec une OP alors que les coopératives vont pouvoir s'en passer. »
Nul doute que cette transversalité sera au coeur des débats, le 22 novembre 2011 à Avranches (Manche), à l'assemblée de l'Office du lait mis en place par l'Association des producteurs de lait indépendants (Apli). C'est aussi une des bases du projet des JA, projet qu'ils défendront le 29 novembre à Paris, lors d'une journée nationale réunissant tous les membres de la filière.
« Si on laisse faire comme aujourd'hui, ce sont les industriels qui nous mèneront par le bout du nez, redoute Rachël Guiquerro, qui est en charge du dossier sur le lait chez JA. Lactalis joue avec les gens. Tant que le régime administré des quotas est là, ça va. Mais après ? Que se passera-t-il en 2015 ? D'ici là, il faut arriver à mieux s'organiser, à regrouper les producteurs dans des OP intersyndicales à l'échelle des bassins laitiers. » Les JA voient même plus grand et parlent d'une interprofession européenne.
Des OP sans couleurs syndicales, c'est aussi ce que souhaite la Confédération paysanne. « C'est dans cette optique que nous allons envoyer une lettre ouverte aux organisations syndicales et aux groupements de producteurs, annonce Gérard Durand, son secrétaire national en charge de l'élevage. Il est inadmissible qu'une entreprise puisse faire du chantage à un éleveur pour l'obliger à signer. Cela nécessite une réponse groupée. Cela nous conforte aussi dans l'idée que les OP verticales ne sont pas la solution. »
Les éleveurs livrant à BEL se structurent
Comme les autres industriels privés, Bel a envoyé un contrat aux producteurs l'approvisionnant dans les délais impartis par la loi. Il leur a ensuite laissé jusqu'au 30 novembre 2011 pour le signer.
« Mais il n'y a pas eu de négociations avec l'entreprise depuis, prévient Luc Garnier, président de la Fédération régionale des groupements de producteurs de lait (FRGPL). Il ne faut pas signer ces documents. L'entreprise a essayé de nous diviser pour arriver à la date butoir sans qu'on puisse avoir le temps de discuter du contenu du contrat. »
La date du 30 novembre 2011 ne laissait pas le temps aux pouvoirs publics de publier le décret sur l'organisation des producteurs. Ce texte dépend de discussions en cours à Bruxelles, qui aboutiront peut-être d'ici à la fin de l'année. Les producteurs livrant à Bel ont mis du temps à s'organiser.
« Nous venons d'enclencher la démarche, reprend Luc Garnier. Nous allons maintenant adresser un courrier à Bel pour demander la reprise des négociations avec les OP en cours de constitution. Il reste à bâtir un canevas que l'on défendra face à Bel. Nous voulons qu'il nous considère comme des partenaires, pas comme des fournisseurs de minerai. »
Avis de FLORENCE CHAMBON, directrice en charge du lait chez Danone produits frais France
« La deuxième version du contrat est en cours de finalisation »
« Dès le départ, nous avons travaillé [sur le contenu du contrat, N.D.L.R.] en relation avec les groupements de producteurs (GP). Nous avons envoyé une première version dans les délais impartis par la loi, en sachant que ce n'était que le début du processus. Nous savions qu'il en faudrait une deuxième. Nous y avons travaillé en étroite concertation avec les groupements. Le travail a eu lieu au niveau régional puis national. »
La deuxième version comprend deux parties, ou plutôt deux contrats. D'abord un contrat-cadre qui sera signé par Danone produits frais France et le représentant du GP. « Ils sont en train de collecter les mandats de négociations auprès des éleveurs, poursuit-elle. Certains sont prêts, d'autres encore au travail. Nous leur laissons le libre choix de s'organiser. Pour les représentants de GP qui n'auront pas collecté les mandats de négociations, nous leur proposerons un contrat intégrant les résultats de la négociation collective. »
Ce contrat-cadre reprend toutes les modalités de la relation entre le producteur et le transformateur : le volume, le prix, la cessibilité, l'organisation de la collecte, les spécificités régionales comme les primes... La seconde partie sera signée par l'éleveur et Danone produits frais France. Ce contrat d'application comprend les informations spécifiques à chaque producteur.
« Travailler avec les groupements est inscrit dans notre ADN, reprend Florence Chambon. Les volumes pour l'après-quota et leur évolution ont, par exemple, été cadrés avec eux. Il est important pour nous d'avoir en face de nous des interlocuteurs, afin de travailler en concertation tout au long de l'évolution de notre relation. Car un contrat est fait pour vivre. Je suis sûre qu'à peine cette deuxième version envoyée, nous commencerons déjà à l'enrichir. L'équité du traitement entre producteurs est également fondamentale. Mais cette relation ne peut vivre qu'au travers de groupements spécifiques à notre entreprise. »