Profiter de l'embellie des cours constatée récemment sur le marché ou parier sur un raffermissement des prix à la moisson de 2009 quitte à financer son stockage. Notre enquête, menée auprès des centres de gestion, des cabinets de conseil et des coopératives, explique le contexte actuel et donne des pistes pour réévaluer sa stratégie de vente.

Selon les organismes stockeurs interrogés, les quantités non encore engagées par les agriculteurs varient énormément. «Parmi nos adhérents, 50% ont choisi de fixer eux-mêmes leurs prix de vente au cours du jour et ils ont en moyenne engagé 75% de leurs volumes, explique Christophe Michel, directeur commercial chez ValFrance, coopérative céréalière basée dans l'Oise. Parmi eux, beaucoup ont engagé leur récolte à la moisson, mais il y en a aussi qui ont très peu vendu», poursuit-il.

«La situation est très hétérogène, remarque Benoît Labouille, directeur de Offre et demande agricole. Dans le Nord, les agriculteurs sont certainement bien plus engagés que dans le Centre ou en Champagne où ils ont plus l'habitude de stocker.»

Difficile donc d'évaluer l'ampleur du phénomène cette année, mais il semble bien que les agriculteurs sont en retard dans la vente de leurs récoltes en comparaison des années précédentes. Selon certaines sources, les agriculteurs auraient en moyenne encore 40% de leurs productions à mettre sur le marché.

Autre indice, les céréaliers ont des besoins inhabituels de trésorerie: «Le Crédit agricole accorde cette année beaucoup de prêts à court terme en avance sur les primes Pac, ce qui est peu courant en janvier», note Benoît Labouille.

Ce manque de quantités mises sur le marché par les agriculteurs a pour l'instant été peu visible. Il a été masqué par une récolte de 2008 très abondante. Néanmoins, les opérateurs en sont de plus en plus conscients ces dernières semaines, et, récemment, un courtier notait que «la rétention de la part des producteurs est un facteur de hausse des prix». Mais le risque existe aussi que ces quantités plombent le marché si les agriculteurs venaient à engager massivement leurs récoltes au même moment.

Saisir l'opportunité de marché

Difficile de vendre lorsque le marché n'a quasi fait que baisser depuis la moisson et que chaque jour écoulé fait regretter de ne pas avoir vendu la veille. Pourtant, le temps presse, notamment pour ceux qui ont mis en dépôt leur récolte de 2008 à la coopérative. Ils devront parfois prendre des engagements de vente au plus tard avant la fin des mois de mars ou d'avril. Fort heureusement, les cours ont récemment repris des couleurs.

Selon Valérie Augereau, responsable du service marché à terme à la chambre d'agriculture de la Vienne, «la remontée observée depuis le début de janvier remet les producteurs en position de choix. Les prix d'objectif, à partir desquels l'agriculteur peut payer ses charges et s'accorder une rémunération, sont de nouveau atteints. Il faut saisir cette opportunité!»

En effet, «le marché du blé a repris de 25 à 30 €/t depuis le mois de décembre. Cela devrait pousser les producteurs à vendre, à moins qu'ils ne s'accrochent à ce qui se passe en ce moment en Argentine, mais aussi au Texas», souligne Benoît Labouille.

Ces incidents climatiques pourraient faire peser des craintes sur la production et laisser penser que les prix pourraient encore grimper. Mais cela concerne avant tout la nouvelle récolte.

2008 a été une année exceptionnelle, sans incident climatique majeur, si bien que «statistiquement tout le monde s'attend à ce qu'il y en ait cette année, ce qui a pour effet de soutenir les marchés pour la récolte 2009», explique Nicolas Pinchon, consultant chez Agritel.

A présent, les opérateurs sont déjà prêts à acheter 10 €/t plus cher la récolte livrée à la moisson de 2009, par rapport à la récolte de 2008, livrée d'ici les mois de mars ou avril. De cette manière, certains agriculteurs peuvent choisir de vendre leur récolte de 2008 auprès d'acheteurs qui souhaitent se couvrir pour la récolte de 2009, afin de bénéficier de cette prime d'incertitude. Mais cela nécessite de pouvoir stocker sa récolte pour la livrer à l'échéance du contrat.

Il faut aussi trouver l'acheteur, à moins de conclure sa vente sur les marchés à terme. Dans ce cas, l'ouverture d'un compte mais aussi de l'expérience sont nécessaires, à moins de passer par son organisme stockeur lorsqu'il propose cette solution.

Assurance à la hausse

«A l'heure actuelle, si un agriculteur hésite à vendre en récolte 2008, c'est qu'il espère que les prix remontent au printemps prochain si un incident climatique survient sur la récolte de 2009, explique Nicolas Pinchon. C'est pourquoi nous conseillerions à une personne qui n'a pas vendu de le faire, afin de sécuriser son revenu sur les niveaux actuels et d'acheter des "calls" qui joueront le rôle d'assurances à la hausse en cas d'éventuels problèmes climatiques.» Concrètement, le «call» permet d'empocher la différence entre le prix de vente et le prix du marché lorsque celui-ci a augmenté.

Le marché des céréales offre ainsi aux retardataires différentes possibilités pour vendre leurs récoltes et même dégager une marge. Mais cette situation est symptomatique d'un manque de stratégie dans la commercialisation des céréales. A quelques mois de la récolte de 2009, il apparaît plus que jamais nécessaire de se former et de se fixer une ligne de conduite dès le moment où le choix est fait de commercialiser par soi-même sa production.

Tout d'abord, il faut calculer le prix d'objectif qui assure le remboursement des charges ainsi qu'une rémunération. En fonction de ce prix, il est ensuite possible de s'arbitrer et d'échelonner ses ventes en plusieurs fois. Cette tâche déjà délicate en 2008 pourrait être encore plus périlleuse en 2009.

Les fenêtres de tir risquent d'être beaucoup plus réduites, car les objectifs de vente au départ de la ferme devront être réévalués à la hausse, certainement entre 140 et 150 €/t en moyenne pour le blé, afin de tenir compte de la hausse du prix des intrants.