FA: Pourquoi proposer des lits ne suffit plus au tourisme rural?

 

J.-P. M.: Les touristes ne viennent pas pour dormir: ils viennent pour visiter, comprendre, pénétrer un territoire. Même pour une journée. Les élus doivent d'abord valoriser leur patrimoine rural, culturel, historique, culinaire avant de faire venir les hébergeurs. Le Lot, la Dordogne l'ont compris depuis longtemps, qui ont restauré tout le patrimoine qui fait l'identité de leur territoire.

Sinon les visiteurs font un petit tour et puis s'en vont. Mais le tourisme n'intéresse pas toujours les élus. Pour certains territoires qui vivaient il y a peu encore de l'industrie, ils ont du mal à voir le potentiel qu'ils ont sous les yeux et à croire que l'accueil de visiteurs est une véritable activité économique.

FA: Est-ce que la campagne attire les touristes?

J.-P. M.: Henri Grolleau, spécialiste du tourisme rural, disait il y a trente ans: «Dans les années 2010, les 10% de ruraux qui resteront seront les médecins de l'âme des 90% d'urbains.» Le tourisme rural a besoin de se renouveler.

En proximité de ville, il offre un bol d'air aux citadins. Mais loin des grands axes, les destinations peu connues devront proposer une offre plus qualifiée, plus visible. Elles affrontent un premier obstacle: la concurrence des destinations lointaines, avec des hébergements moins coûteux, des offres qui se diversifient comme le tourisme rural qui explose au Maroc.

D'où cette piste: favoriser la découverte d'un territoire autour d'un hébergement de qualité. Ceux qui voyagent toute l'année pour leur travail recherchent un coin tranquille, avec un guide local pour découvrir les meilleurs coins de pêche ou une table gourmande.

L'hébergement doit être de qualité, au goût du jour mais pas obligatoirement luxueux. Le luxe est dans la prévenance, la disponibilité. L'écotourisme qui s'appuie sur le respect de la nature, la pénétration douce, la croissance lente se développe aussi.

FA: Pourquoi les acteurs économiques s'organisent-ils entre eux?

J.-P. M.: Les dernières lois de décentralisation ont réorganisé le tourisme sans tenir compte de la démarche des touristes. Ceux qui viennent en vacances ne se soucient pas des frontières administratives: ils viennent découvrir en Auvergne la chaîne des Puys, en Bretagne la forêt de Brocéliande ou dans l'Aude les châteaux cathares.

Or certaines destinations touristiques dépendent de plusieurs communautés de communes qui ont chacune leur office de tourisme, d'un Parc naturel, parfois de deux régions. Pour avoir un territoire de projet touristique, il faudrait une volonté politique forte qui l'emporte.

Sinon chaque acteur communique sur son bout de territoire, la destination touristique devient confuse, presque invisible. Et le touriste passe son chemin. Pour le retenir, les acteurs économiques créent leur propre réseau par affinité, pour se renvoyer leur clientèle ou se rendre visibles.

FA: Quelles sont les conditions de réussite de ces réseaux?

J.-P. M.: L'idéal serait que les institutionnels favorisent ces réseaux (aide au financement, formation au développement, appui de la collectivité). Ensuite, ils pourraient les intégrer dans une promotion du territoire plus institutionnelle, légitimée par la réalité de terrain. Les acteurs économiques qui créent ces réseaux doivent se réunir sur des objectifs simples mais partagés.

Ils peuvent s'appuyer sur une formation qui apportera le vécu et l'approche complexe des situations. Souvent l'écueil de ces réseaux est de négliger l'emploi d'un salarié. Mais avant que cela rapporte, il faut investir dans un salaire.

Dernière remarque: si les membres du réseau veulent vérifier que chacun respecte la charte qu'ils se sont donné, mieux vaut qu'ils n'émettent pas de jugement les uns sur les autres: un expert extérieur, outre l'apport de son savoir-faire, ménagera les susceptibilités des membres du groupe. Et son avenir.