UN MILIEU PROPICE. Les loups se sont installés sur des zones boisées d'élevage permanent. Ils profitent de la pluie et du brouillard pour attaquer les troupeaux.
Le loup fait partie du paysage agricole français, à la satisfaction des écologistes, mais au grand dam des éleveurs soumis à la pression du prédateur. La population est estimée entre 120 et 150 individus. Vingt-cinq zones de présence permanente de l'espèce sont recensées dans une dizaine de départements des régions Paca et Rhône-Alpes. Et il faut s'attendre à ce que de nouveaux territoires soient colonisés dans les régions Auvergne, Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon et Franche-Comté.
Le loup progresse dans des zones où les moyens de protection mis en place dans les estives (regroupements nocturnes dans des parcs, gardiennage, chiens de protection...) ne sont pas forcément adaptés. C'est le cas dans les régions préalpines, avec des espaces de pâturage permanents entourés de zones boisées, avec des troupeaux de plus petite taille... «Il y a des situations où nous n'avons pas de solutions pour assurer la sécurité des troupeaux», reconnaît Nathalie Girard, de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes.
C'est dans un contexte de colonisation potentielle de nouvelles zones d'élevage que le plan national d'action sur le loup 2008-2012 est attendu. Avec une population lupine estimée viable, la gestion du prédateur se pose dans des termes nouveaux. D'autant que les moyens financiers consacrés à la politique du loup ont atteint leurs limites: près de 5 millions d'euros par an (au titre du suivi de l'espèce, de la protection des troupeaux et de l'indemnisation des dégâts). Avec un nombre accru de loups dans des régions où la protection des troupeaux (bovins allaitants notamment) sera plus délicate à assurer et les dommages plus coûteux à indemniser, l'équation économique deviendra vite insoluble.
Gestion différenciée
Une gestion différenciée du loup est évoquée. Le traitement du prédateur ne serait pas le même selon que l'on se trouve dans des zones où il est présent (et intouchable) et d'autres zones où son implantation serait indésirable. Le protocole d'intervention sur le loup pour la période 2008-2009 (1) fait application de ce principe de gestion différenciée. Sous certaines conditions (moyens de protection du troupeau mis en place, effarouchement préalable, dommages récurrents...), les éleveurs peuvent effectuer des tirs de défense dans des conditions différentes selon qu'ils sont situés dans des zones de présence permanente du loup ou dans les nouvelles zones de colonisation. «Cet assouplissement des conditions de tir de défense était une demande de la profession. C'est un élément psychologique important pour l'éleveur à qui l'on reconnaît le droit de défendre son troupeau», précise Pierre-Yves Motte, président de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes, en charge du dossier "loup".
Il reste qu'au-delà des contraintes (désorganisation des pratiques d'élevage, dommages partiellement indemnisés...), c'est la situation psychologique des éleveurs confrontés quotidiennement à la présence du loup qui est intenable. Une perte de qualité de vie qui n'est pas compensable.
_____
(1) Arrêté du 23 mai 2008 autorisant des opérations de destruction de loups pour la période 2008-2009.
INCOMPATIBILITÉ. «Nous ne voyons pas comment nous allons pouvoir nous adapter à la prédation», constatent Marie-Odile Nicolas et Gilbert Mathieu, ici en compagnie de leur nouveau berger (à gauche).
Témoignage: MARIE-ODILE NICOLAS et GILBERT MATHIEU |
L'élevage a-t-il encore une place dans notre société?
«Nous sommes complètement anéantis et désespérés, avouent Marie-Odile Nicolas et Gilbert Mathieu. L'élevage a-t-il encore une place dans notre société?», se demandent-ils. Dans la nuit du 25 au 26 mai, le loup a tué 47 brebis sur le lot de 450 qui pâturaient sur le quartier le plus boisé de l'exploitation. Pourtant, les deux éleveurs s'étaient préparés à vivre avec le prédateur. Les 400 ha de l'exploitation sont situés en partie à la Haute-Beaume, dans les Hautes-Alpes, sur une commune classée en «cercle 1» depuis 2006. C'est-à-dire où la présence du prédateur est avérée et où la prédation sur le cheptel domestique a été constatée une ou plusieurs fois au cours des trois dernières années. Les trois élevages de la commune exploitent les surfaces disponibles du 1er janvier au 31 décembre. La prédation est donc une contrainte quotidienne. «Nous avions pourtant souscrit une mesure "t" (*) et introduit un patou dans le troupeau au cours de l'automne dernier, indique Marie-Odile. Cela nous a demandé du temps et de la patience pour que le chien et les brebis s'acceptent mutuellement. Notre surveillance avait aussi été accrue depuis les attaques intervenues chez nos voisins. L'attaque nous a quand même surpris parce que nous pensions que le loup n'attaquait que pour manger. Alors que là, l'animal s'est fait plaisir. Il s'est faufilé au milieu des brebis sans les affoler. Il les a égorgées les unes après les autres en profitant de la pluie et du brouillard. Le patou et les autres brebis n'ont pas décelé sa présence.»
La perte des animaux n'est qu'une petite partie du préjudice subi par les éleveurs. «Même si nous nous y étions préparés psychologiquement, l'épreuve est très dure à supporter car c'est le travail accompli depuis dix ans qui a été saccagé. Il n'est plus question de conduire les brebis en lots. Nous avons regroupé tous les lots en catastrophe pour renforcer la protection et embaucher un berger. Ceci bien que tous les secteurs de l'exploitation soient clôturés. Nous ne pouvions plus passer jour et nuit avec les brebis et il fallait faire les foins.»
En revanche, le système de production est totalement remis en cause. Sans allotement, il n'est plus possible de conserver la technique du "trois agnelages en deux ans" pour améliorer la prolificité. Les luttes strictes qui duraient quatre ou cinq semaines ne pourront plus être maintenues non plus. Pourtant, elles généraient des lots d'agneaux homogènes répartis sur toute l'année.
«Après l'attaque, les agneaux ont dû être rentrés en bergerie. Le passage de l'herbe au foin a provoqué un choc alimentaire. Ce qui a engendré des maladies et des frais vétérinaires supplémentaires, se désole Marie-Odile. Nous sommes très sceptiques quant au produit que l'on pourra tirer de ces animaux. Heureusement, la direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF) a été à nos côtés dans cette épreuve, précise Marie-Odile. Nous n'avons toutefois aucune lueur d'espoir pour l'avenir. Et nous ne sommes pas certains de pouvoir continuer à travailler dans de telles conditions», avouent-ils en signalant que l'élevage est la seule activité qui maintient un tissu économique dans la zone. «Les éleveurs seront bientôt en voie de disparition et il sera trop tard pour les réintroduire!», insiste Gilbert.
_____
(*) La mesure «t» rémunère, au travers de quatre options, les surcoûts liés à une meilleure protection du troupeau contre les attaques (gardiennage, clôtures, chien de protection, analyse de la vulnérabilité). Quatre types de contrats peuvent être souscrits en fonction de la taille des lots de brebis.
70% de pertes indirectes à la charge de l'éleveur«70% des pertes dues à la prédation restent à la charge de l'éleveur», révèle Joseph Jouffrey, président de la Fédération départementale ovine (FDO) des Hautes-Alpes. Ce sont les tout premiers résultats d'une étude conduite par la FDO des Hautes-Alpes et les associations d'éleveurs pour évaluer l'impact des pertes indirectes de la prédation. Cette étude concerne quatorze troupeaux du département depuis 2007 et devrait se poursuivre au cours des deux prochaines années. Elle est fondée sur l'observation d'un nombre équivalent d'animaux «prédatés» et «non prédatés». L'infertilité des brebis est la conséquence la plus importante des attaques de loups. Les problèmes sanitaires rencontrés sur les troupeaux stressés sont également importants. Ils sont la conséquence d'un système immunitaire fragilisé.» |