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Une femme de volonté
Marie-Thérèse Lacombe a mis autant de détermination dans ses obstinés combats aveyronnais que Raymond, son mari, dans ses engagements nationaux.
Marie-Thérèse Lacombe n'a pas baissé la garde à 68 ans: «Lorsque j'entends parler de la qualité des conserves faites autrefois à la maison, cela me met hors de moi. Je ne parle même pas des conditions d'hygiène dans lesquelles on réalisait ces bocaux. Je parle du travail obscur et sans fin de toutes ces femmes dans les campagnes. Qui se souvient encore de l'état de la condition des femmes dans ces fermes? Souvent elles n'élevaient pas leurs enfants soumis à l'autorité des grands-mères. Les agricultrices s'occupaient de tous ces travaux épuisants et répétitifs: nourrir la basse-cour, traire les vaches, conduire les porcs à la glandée, préparer le repas de nombreuses tablées…» Toute colère rentrée, Marie-Thérèse multiplie à l'infini les anecdotes. «Nous n'avions pas de métier, pas d'argent, pas d'emploi du temps. Nous avons poussé nos filles à avoir un métier pour être indépendantes.» Lorsqu'elle parle, elle témoigne non de sa vie à elle mais de celles de toutes ces femmes dont elle a partagé, sur place dans l'Aveyron, la lutte quotidienne pour exister. Elle arrivait du sud des Ardennes: ses parents travaillaient 140 ha. Après des études ménagères, elle est revenue sur la ferme de ses parents et s'est engagée dans la JACF, les jeunesses agricoles catholiques féminines: «J'aimais le travail sur la ferme mais très vite je n'ai pas admis que les filles dans les fermes ne soient qu'un réservoir de main-d'oeuvre. La JACF nous a enseigné que nous devions conduire notre vie ensemble, sans être sous dépendance. Nous étions animées d'une volonté de changement et de progrès énorme.» Elle rencontre son mari à Paris où elle est devenue déléguée féminine de la JAC. «Lorsque je me suis mariée, je suis venue sur la ferme de 14 ha de mes beaux-parents.» Sa motivation pour le changement se renforce au contact de la vie difficile de l'Aveyron: «Tout de suite, nous avons voulu ne plus cohabiter.» Les aides aux logements leur permettront d'habiter six mois après leur mariage «une maison, petite mais indépendante». Les femmes de l'Aveyron font de la décohabitation leur premier cheval de bataille «dans des maisons où les belles-filles n'avaient pas le droit de changer de place une petite cuillère». Tout cela prendra du temps. Marie-Thérèse Lacombe écrit pendant ces années des billets d'humeur dans «Le Rouergat»: un billet sur la décohabitation, un autre sur la Saint-Blaise «le saint patron qui guérissait les cochons. Moi j'ai parlé de vétérinaire et de conseiller agricole». Cela lui vaudra les foudres de quelques curés: «J'ai écrit pendant 10 ans pour encourager les femmes qui étaient en silence, pour les aider à tenir. Certaines m'en parlent encore aujourd'hui. Heureusement qu'il y avait aussi des prêtres engagés à nos côtés. Nous avons pu mettre en route de nombreuses équipes de JAC dans les villages car la plupart des femmes n'avaient pas de permis ou pas le droit de conduire la voiture. Nous voulions une vie de femme normale et des couples indépendants.» Elle refuse aussi certaines corvées que lui destine son beau-père comme garder les cochons dans la châtaigneraie: «Mon mari m'a laissé faire. Nous avons été très actives dans les groupes de vulgarisation féminine (GVAF) soutenus par les conseillères de la mutualité. Nous avions envie de Formica parce que c'était la propreté.» La basse-cour sera leur deuxième grand chantier: «La basse-cour, c'était le domaine des femmes: elle assurait l'autoconsommation de toute la maisonnée. Le peu qui restait était leur seul argent disponible. Nous avons spécialisé les basses-cours pour ne pas courir toute l'année. Après une formation à l'alimentation équilibrée et autonome, nous avons construit ici à Camboulazet un congélateur collectif pour mieux utiliser notre viande et nos légumes.» Marie-Thérèse Lacombe se lance dans l'élevage de porcs à l'engrais: «J'ai suivi aussi les réunions techniques sur le lait et fait partie du conseil de la coopérative. J'ai trait pendant 25 ans. Nous n'avions pas d'ouvrier mais un service de remplacement à l'occasion et des stagiaires. Nous avons travaillé avec nos voisins grâce à une banque de travail ou encore la Cuma. Lorsque nous avons eu des soucis familiaux, jamais nous n'avons été seuls.» Après les congélateurs et la basse-cour, les groupes féminins s'attaquent à la comptabilité: «Ce n'est pas votre travail», nous disaient pourtant les centres de gestion. Elle créera aussi un gîte lorsqu'elle agrandira sa maison: «La diversification a été au départ l'idée des femmes.» Lorsque son mari est élu président de la FNSEA, elle arrête les porcs et se consacre au seul troupeau laitier. «Nous faisions les gros travaux le samedi et le dimanche.» En 1993, leur dernier fils, Damien, reprend l'exploitation qui compte alors 25 hectares. «Je me suis toujours occupée moi-même de mes quatre enfants. Pour moi qui ai tant aimé mon métier, cette installation m'a touchée profondément. Depuis je me suis engagée dans l'aide à domicile en milieu rural. Nous venons aussi de proposer de nous mettre à l'écoute des agriculteurs en grande difficulté. C'est davantage le travail des anciens que des assistantes sociales. Ce que j'ai fait, plein d'autres femmes l'ont fait. Je ne suis pas une vedette en Aveyron», conclut-elle.
Statut: la retraite oubliée Marie-Thérèse n'a jamais eu le statut d'exploitante: «Lorsque l'on a élaboré les premières lois sur la retraite, la MSA y était opposée. Quand le débat a enfin évolué, j'étais à 5 ans de la retraite. Sur ce sujet en 1988, je n'étais pas tout à fait d'accord avec Raymond qui pensait que ce statut n'était pas l'essentiel. Pour les femmes, il l'est. Moi dans ma tête, j'étais tellement agricultrice que je ne m'occupais pas des classifications de la MSA. Nous aurions dû nous battre plus tôt pour avoir une retraite moins minable mais je n'ai jamais pensé au montant de la retraite avant de la prendre.» |
Un statut… pour les autres
Marie-Louise Rocchia a participé à la rédaction d'un guide sur le statut des agricultrices.
«Ces haricots verts seront délicieux en salade. Et là, ces fleurs de courgette. Je les présente en petit bouquet pour ceux qui voudraient en faire des beignets.» Lorsque Marie-Louise parle de son métier, elle ne fait pas allusion à ses réveils à 4 heures du matin pour vendre sa marchandise au marché de gros de Marseille. Elle évoque le plaisir de vendre ses légumes sur les marchés locaux. Marie-Louise aime ces terres qu'elle cultive depuis 1967 avec Maurice: «Mon mari a été licencié trois mois après notre mariage. Grâce à l'arrivée de l'irrigation, Maurice s'est lancé dans le maraîchage de plein champ chez ses parents éleveurs de moutons.» Titulaire d'un CAP commercial, Marie-Louise, qui n'est pas du milieu agricole, continue à travailler à l'aéroport de Marignane: «J'allais dans les champs en rentrant de l'aéroport à 16 heures. Mais je trouvais les prix scandaleusement bas.» Lorsque naît son premier fils, elle abandonne sans regret son travail salarié. Son mari s'occupera en priorité de la partie technique et elle de l'aspect commercial: «Je suis devenue ayant droit de mon mari. Dans la case "profession", j'écrivais: "sans".» En 1972, l'autoroute les prive de 4 hectares sur les 9 qu'exploitaient les beaux-parents: «Nous avons acheté une serre. Aujourd'hui, nous travaillons dans 5.000 m² de serres et 4,5 ha de plein champ. Avec les serres, nous nous sommes formés immédiatement dans le cadre du Ceta à l'agriculture raisonnée et raisonnable.» Marie-Louise découvre les groupes féminins grâce à son mari et s'y investit à fond: «Dès la première réunion, j'ai été happée. Je ne les ai plus quittés. Je m'y suis formée.» En 1972, lorsque ses beaux-parents partent à la retraite, Marie-Louise s'interroge: «Allions-nous, nous aussi, toucher cette retraite de misère?» Les époux signent en 1972 un contrat de retraite complémentaire sur 30 ans. Ils s'engageront par la suite dans Coreva, retraite complémentaire proposée un temps par la MSA puis par les assureurs. En 1996, elle participe avec les groupes féminins et la FDSEA de son département à la rédaction d'un guide complet du statut des personnes en agriculture. «Notre exploitation étant soumise au forfait, devenir coexploitante aurait pesé lourdement sur l'exploitation. En 1999, à 53 ans, j'ai pris le nouveau statut de conjoint collaborateur.» Marie-Louise touchera davantage de retraite avec ses huit années de salariat qu'avec ses vingt-ans ans d'activité agricole.
Conjointe collaborateur
Après vingt ans de travail, Liliane Janichon devient conjointe collaboratrice.
Liliane Janichon est devenue agricultrice après la naissance du premier de ses cinq enfants: «Si je voulais passer du temps avec mes enfants et mon mari, c'était la bonne solution. Notre structure m'a toujours permis de m'occuper de mes cinq enfants. Ma mère commerçante n'a jamais pu me garder avec elle.» Pendant que son mari monte patiemment une exploitation de viande bovine à côté de l'exploitation laitière de ses parents, Liliane, ancienne comptable, se met «dans les papiers» et devient «ayant droit» de son mari. «A cette époque, on installait d'abord le chef d'exploitation. Quand les affaires se stabilisaient, se posait la question de la deuxième moitié. Aujourd'hui, je suis conjointe collaborateur. C'est un choix de couple car le chef d'exploitation doit signer la demande. Ce statut est la reconnaissance de mon travail.» Ses engagements professionnels se multiplient, en particulier dans les groupes féminins. Liliane réfléchit à l'adoption d'un autre statut: «Nous reculons pour l'instant devant la création d'une société: nous serions soumis à la taxation sur les plus-values aux sociétés, vu notre chiffre d'affaires. Nous aurions dû réagir plus tôt. J'ai un fils, voire deux fils, qui vont s'installer avec nous ou à côté. La question se reposera.»
Le métier de ma mère
Après dix années intenses, Christine Pessereau respire un peu.
Sa mère lui avait conseillé d'apprendre un autre métier. Mais son Bac en poche, Christine Pessereau a poursuivi vers un BTS Acse pour être agricultrice: «Nous étions sept enfants et ma mère nous a tous poussés à faire des études. Elle avait aimé son métier mais elle ne l'avait pas choisi. Aujourd'hui, je suis en Gaec avec mon frère et mon mari sur la ferme de mes parents dans la Sarthe. J'ai d'abord été salariée mais mon but c'était la ferme. Lorsque mon frère et mon mari ont créé le Gaec en 1988, je suis devenue conjointe d'exploitant: je n'étais pas à 100% sur l'exploitation comme eux. Je voulais avoir du temps pour mes deux enfants. Beaucoup de femmes prennent le statut quand l'exploitation a amorti ses plus gros emprunts.» Christine Pessereau se lance dans la production d'oeufs à couver six mois après leur installation: «On s'est fait assaillir au départ par le travail. Pendant cinq ans tant que les nids automatiques n'existaient pas, cet acouvoir occupait une personne et demie. Je me consacrais uniquement à l'élevage et à mes enfants. Après cet investissement, une seule personne suffisait. A la naissance du troisième enfant, j'ai pris un congé parental. Entre les enfants, l'ancienne génération et le travail, nous sommes des femmes-orchestres. Mais pas plus que les femmes qui travaillent en ville. Je respire depuis deux ans et je suis associée du Gaec avec 20% des parts depuis 1997.» Depuis 1990, Christine, férue de technique, suivait de près les réunions sur le lait et sur l'aviculture: «Maintenant, je vais au GVAF alors qu'avant je trouvais cela ringard. Nous venons de tourner un film avec le GVA du Grand-Lucé intitulé «Agriculteur que fais-tu?» Il montre aux autres ruraux les gestes quotidiens de notre métier. Ma dernière fille s'était fait traiter de vache folle à l'école. J'ai présenté ce film au collège et devant les instituteurs qui, malgré leur proximité, ne savent pas comment on travaille.»
«Je suis ce que je fais»
Après dix ans de travail, Delphine Ménard devient officiellement agricultrice cet automne.
Une cour soignée et aménagée pour les jeux des enfants, un autre passage désormais réservé aux tracteurs et camions, en dix ans Delphine et Stéphen Ménard ont réussi à redessiner la ferme qu'ils imaginaient à Saint-Vincent-du-Lourouer, dans la Sarthe: 50 vaches allaitantes et 20 taurillons sur 76 hectares, un canardier de 600 m², bientôt de 800 m². «J'ai toujours voulu être agricultrice. Pourquoi? Je n'en sais rien. Mes parents étaient ouvriers au Mans. J'ai fait mes études dans une école privée où il y avait peu d'enfants d'ouvriers. Mais cela m'a renforcée dans mon choix.» Après un BTA, Delphine Ménard passe un BTS Acse, rencontre son mari. C'est lui qui le premier réalisera leur rêve: il remet en état la ferme de ses grands-parents. «La famille nous a beaucoup aidés alors que les parents de mon mari avaient choisi, eux, de quitter la terre.» Ils commencent avec 45 ha et montent un troupeau allaitant. «Pour faire bouillir la marmite et rassurer la banque, pendant dix ans j'ai travaillé dans un centre pour handicapés. J'aidais dès que je rentrais: les papiers, le soin aux animaux, les réunions techniques sur les bovins où j'étais souvent la seule femme.» Depuis 1997, ils ont construit un canardier de 600 m²: «J'aurais souhaité que nous nous lancions tout de suite dans la volaille mais nous avons dû faire nos preuves, surtout face à la famille qui se méfiait de ce hors-sol.» Lorsque naît sa deuxième fille, elle ne veut plus courir entre travail et famille: «J'ai été en congé parental de janvier 1998 à mars 2001. Nous allons créer une EARL. Je serai associée mais je n'ai plus à prouver mon existence: je suis ce que je fais depuis dix ans.»
Elle aura une belle ferme
Sûre de son choix, déterminée, Hélène Lambert s'est installée avec son père il y a trois mois.
Hélène Lambert avait deux projets: voyager et devenir agricultrice. Sitôt son bac en poche, elle part aux Etats-Unis parfaire son anglais et prendre le temps de la réflexion: «Je pensais que j'allais oublier l'agriculture. Je n'ai pas vu une vache pendant un an et demi. Puis, après tout ce temps, la France m'a manqué et j'ai eu envie de m'installer le plus vite possible et de travailler avec mon père. Je veux travailler dehors.» A la suite de problèmes familiaux, son père a cédé son exploitation et a décidé de reconstruire son activité en Touraine: «Mon père s'est installé en août 2000 dans cette région. Nous avons choisi cette ferme ensemble.» Cette exploitation détenait un quota de 380.000 litres et lors de l'installation définitive d'Hélène en janvier 2001 il est passé à 500.000 litres. «J'ai suivi une formation et établi mon Epi (étude prévisionnelle d'installation). Elever 80 belles vaches sur 80 ha, c'était notre projet. Ce qui est dur, c'est le montant de l'investissement à réaliser: 1,5 million de francs, cela impressionne à mon âge. Heureusement que mon père a déjà fait ses preuves. Il a 50 ans et deux jeunes enfants, donc 15 ans d'activité devant lui au moins. Moi, mon ambition c'est une belle ferme, impeccable. Nous voulons traire dans un beau bâtiment confortable pour les animaux et les éleveurs. Nous sommes en train d'établir un projet de construction car pour l'instant nous travaillons dans plusieurs vieux bâtiments pas très fonctionnels. Mais j'ai de l'ambition tout comme mon père. J'apprends beaucoup avec lui. Nous sommes associés à 50%-50%. Mais ce ne serait pas viable financièrement pour moi si mon mari ne travaillait pas à l'extérieur.» Son mari, professeur de philosophie en Belgique, prépare le plus possible ses cours en Touraine: «Coup de chance, il y avait deux maisons sur l'exploitation. Nous avons été très bien accueillis ici, surtout lorsque les voisins ont vu que des jeunes venaient s'installer. Et comme nous avons repris les parts de Cuma de l'ancien exploitant, nous avons fait connaissance avec les autres agriculteurs pendant l'ensilage.» Son travail lui prend presque tout son temps «de 6 heures 30 à 13 heures et de 14 heures à 19-20 heures: «Je n'ai pas trop de temps à perdre à l'extérieur. J'espère être plus dégagée quand le nouveau bâtiment sera terminé. Pour l'instant, je ne pourrais pas avoir d'enfants car je dois apprendre mon métier, me former, m'adapter à cette nouvelle région.» Sur la ferme de son enfance, elle avait appris à tout faire et n'hésite pas à monter sur un tracteur: «Quand on s'installe, on apprend encore plus vite car on est impliqué. Mon père m'a toujours fait confiance. Je suis maniaque comme lui. Quand une décision est prise, j'aime bien que cela suive.» Pour l'instant, elle se consacre entièrement à la ferme et a même décliné une proposition pour être conseillère municipale. «Déjà je sais que je suis capable de remplacer mon père le week-end. La première fois, j'ai eu plein d'ennuis: une vache avec un début d'occlusion, un petit veau déshydraté. J'ai appelé le vétérinaire pour la première et j'ai posé la perfusion au deuxième. Il me reste à convaincre certains représentants que je partage les responsabilités avec mon père. Pour faire ce métier, il faut une réelle passion. Sinon on ne s'en sort pas.»
Statistiques: 550.000 agricultrices En attendant les prochaines publications sur le recensement de 2000, le ministère de l'Agriculture (chiffres de 1997) estime que 142.673 femmes sont chefs d'exploitation, 397.413 sont conjointes de chef d'exploitation. Les salariées agricoles sont 26.490. Un chef d'exploitation sur quatre est une femme. 38% d'entre elles ont plus de 55 ans et ont repris, pour la plupart, l'exploitation après le départ de leur mari. 20% ont moins de 40 ans. La part des femmes bénéficiaires de la DJA est de 20% chaque année. Un tiers d'entre elles s'installent en EARL contre 13% pour les hommes. |