Le projet d'assurance récolte s'accommode mal du contexte actuel de récession budgétaire. C'est pour cela que l'accouchement est difficile et que ce dossier prend autant de retard. Dans ces conditions, on s'oriente pour 2005 vers un dispositif "a minima", si tant est qu'il soit lancé. D'ores et déjà, le rendez-vous avec les cultures d'hiver est pratiquement loupé.

L'objectif visé par le gouvernement est de mettre en place un système d'assurance qui permettrait de garantir la plupart des risques climatiques de l'exploitation générant une perte de rendement: grêle, gel, sécheresse, tempête, excès d'humidité, etc. Une fois le dispositif bien amorcé, il se substituerait au Fonds national de garantie des calamités agricoles (FNGCA). Autrement dit, on passerait d'un système de couverture publique avec les défauts que l'on connaît (lenteur de l'indemnisation, barèmes contestables, inadaptation au secteur des grandes cultures, etc.) mais pour lequel l'agriculteur n'a rien à payer directement, à un dispositif semi-privé et individualisé où l'exploitant devrait mettre la main à la poche (voir l'encadré ci-dessous). Certes, 10 millions d'euros viennent d'être budgétés par le ministère de l'Agriculture pour le lancement en 2005 de l'assurance récolte, mais cette somme ne permettrait d'accompagner grosso modo que 5% des productions assurables selon les calculs d'un expert. Pas très ambitieux pour un sujet annoncé comme prioritaire, même si Hervé Gaymard a promis une dotation complémentaire à la fin de 2005. Surtout, on est encore très loin des 240 millions d'euros qui seront nécessaires en régime de croisière à la couverture des cultures de vente. Une somme qu'il faudra doubler si on y ajoute les fourrages... Difficile de faire de l'assurance récolte au rabais! Les expériences étrangères l'ont toutes montré. Après plus de 25 ans, l'Espagne consacre 210 millions d'euros par an à l'assurance récolte. Et c'est en milliards de dollars que les Etats-Unis soutiennent la leur.

Grosse déception

Durant la deuxième quinzaine de septembre, les grandes lignes du projet ont été présentés par le ministère de l'Agriculture à la profession agricole, puis aux assureurs. Le dispositif ne couvrirait que les cultures de vente et non les fourrages pour lesquels les assureurs ne sont pas prêts. Il reposerait sur un mode d'adhésion volontaire. Ces points semblent acquis mais c'est sur les autres modalités que les choses achoppent. «Le gouvernement a visiblement été surpris du tir de barrage conjugué des représentants agricoles et des assureurs», commente un participant aux négociations. Plusieurs reproches de fond ont été émis. Le niveau de subvention envisagé, 40% de la prime d'assurance pendant les deux premières années puis 10-15% ensuite, s'érode beaucoup trop rapidement. Pour les jeunes agriculteurs, ce taux serait majorée de 5 points, un bonus là aussi jugé insuffisant. Cette aide de l'Etat serait calibrée par rapport à un contrat avec 30% de franchise, mais les assureurs auraient la latitude de fixer des franchises plus basses. «A un tel niveau de pertes, il n'y a pas une exploitation qui survit!», critique un spécialiste. Enfin, l'absence de réassurance publique soulève des questions sur la viabilité financière du système en cas de catastrophe climatique d'ampleur exceptionnelle. Le coup de semonce a été entendu et les pouvoirs publics sont prêts à rediscuter. Mais la contrainte budgétaire limite les marges de manoeuvre. En abaissant de 30 à 20% le niveau de franchise, l'enveloppe à consacrer augmente très fortement... En jouant sur le couple subvention-franchise, les ordinateurs de Bercy sont donc en train de mouliner pour essayer de faire rentrer tout cela au chausse-pied. Le dénouement devrait intervenir en octobre, sans quoi le lancement pour 2005 sera compromis.

 

Opinion: JEAN-MICHEL DELMAS, représentant de la FNSEA au Fonds national de garantie des calamités agricoles

«Bien nourrir le dispositif au départ»

La France agricole: Quelles sont les conditions de réussite de l'assurance récolte en France?

Jean-Michel Delmas: Il faut d'abord un soutien actif de la part des pouvoirs publics au niveau de la prime d'assurance. Car l'assurance récolte multirisques doit couvrir l'ensemble des filières de production et ne pas laisser d'agriculteurs en dehors du système.

Elle est forcément bien plus coûteuse qu'une assurance classique: l'aide publique est donc nécessaire pour que cette assurance devienne accessible au plus grand nombre et que l'adhésion soit la plus importante puisqu'elle est volontaire. Deuxièmement, il faut un taux de franchise acceptable: sinon l'assurance n'assure pas grand-chose et n'indemnise pas suffisamment les pertes. Pour nous, une franchise acceptable et réaliste, c'est entre 15 et 20%. Troisièmement, l'Etat doit s'engager dans le principe de réassurance au-delà des réassureurs habituels. Il doit apporter sa caution pour garantir les calamités climatiques d'une très grande ampleur. L'intervention de l'Etat pour ces cas exceptionnels ne se déclencherait qu'au-delà d'un certain seuil de perte. Cette réassurance publique est la clef de voûte du système, car elle donne aux assureurs comme aux assurés, un gage de pérennité. En couplant l'assurance récolte avec la déduction fiscale pour aléas (DPA), cela permettrait en plus de réduire le coût de la prime.

Rien ne serait plus dommageable que de lancer l'assurance récolte et que ça ne marche pas. Ce serait l'échec d'un principe sur lequel on aura beaucoup de mal à revenir. Ces trois grandes conditions sont à réunir dès le lancement du système en 2005. Elles ne sont pas extravagantes: ce sont les mêmes qui sont appliquées depuis longtemps en Espagne, aux Etats-Unis, au Canada. Nous ne voulons ni plus ni moins que ce qui se pratique en Espagne. Quand le produit est bien adapté, les agriculteurs n'hésitent pas à prendre de l'assurance récolte.

La FA: Justement, comment transférer les risques actuellement couverts par le Fonds des calamités vers le dispositif d'assurance récolte?

Bien évidemment, on n'abandonnera pas la proie pour l'ombre. L'assurance récolte n'est pas un alibi pour se débarrasser du fonds des calamités. Il restera de toute façon pour indemniser ce qui ne sera pas assurable: les pertes de fonds, les inondations… Il faut que le transfert entre les deux systèmes se fasse progressivement. Il doit s'opérer sur des critères objectifs du développement du marché de l'assurance récolte et non pas par rapport à une date arrêtée à l'avance. Mais il ne faut pas non plus que l'existence parallèle du fonds gêne le développement de l'assurance récolte. Ce n'est pas simple. En fait, c'est l'assurance récolte qui doit faire par elle-même la démonstration de son efficacité et donc de son attractivité. Autrement dit, si les agriculteurs se rendent compte qu'ils sont mieux indemnisés et plus rapidement par l'assurance récolte que par le Fonds des calamités, alors ils l'adopteront vite. C'est ce qu'on peut raisonnablement envisager puisque l'assurance récolte se fonde sur des chiffres issus des comptes de l'exploitation, donc plus proches de la réalité économique.

 

 

Groupama et Crédit agricole dans les starting-blocks

Du côté des assureurs, on se dit prêts à démarrer sur 2005 quand un accord tripartite sera trouvé entre tous les protagonistes. Les produits commerciaux sont en tous les cas finalisés.

L'offre Groupama devrait comprendre deux formules (avec possibilité de rachat de franchise): la première couvre l'ensemble des cultures de vente de l'exploitation, mais pas les fourrages, avec compensations des pertes de rendement entre elles. Le tarif sera spécifique à chaque exploitation, en fonction de son exposition aux risques. Elle sera moins chère que la seconde formule qui se décline culture par culture.

L'offre Pacifica (Crédit agricole) sera à la carte, culture par culture, avec une garantie de base couvrant la perte de rendement et les événements climatiques majeurs (grêle, gel, sécheresse, inondations, tempête, vent de sable). Des garanties complémentaires pourront être souscrites comme l'excès d'eau, de température, la perte de qualité (sur fruits par exemple). La perte sera calculée par rapport aux rendements historiques de l'agriculteur (cinq derniers, moins le meilleur et le moins bon). Le prix de vente des trois dernières années sera pris en compte.