Premier constat: les utilisateurs sont étonnemment sereins et ne regrettent pas leur choix. Celui-ci s'inscrit dans la durée face à la perspective d'un pétrole appelé à grimper, mais surtout tous ont trouvé des solutions de substitution. Car si ces chaudières coûtent très cher, elles ont dans leur manche un joker important: leur caractère polycombustible, qui ouvre un vaste champ de possibilités du côté de la biomasse, contrairement aux chaudières spécifiques. Le «choc céréalier», qui vient de se produire, est l'occasion de redécouvrir les vertus combustibles de sous-produits basiques. Une autre piste très prometteuse est celle des agropellets, ces granulés composites réalisables à partir d'une multitude de ressources végétales, dont des déchets. Avant d'investir dans une chaudière, regardez avec la plus grande attention ce qu'elle va être capable de brûler...

1. Plus de 1.000 m2 chauffés avec des déchets de céréales

Les frères Thiébaut ont installé trois chaudières biomasse pour alimenter leurs habitations, celle de leurs parents et des logements locatifs.

«Tous comptes faits, nous allons vendre l'orge fourragère qui était destinée à nos chaudières», explique Jean-Nicolas Thiébaut, agriculteur en Gaec avec son frère, Frédéric, à Anglemont, dans les Vosges. En cette fin d'août, les cours des céréales ont atteint des sommets historiques, ce qui incite les frères Thiébaut à changer leur fusil d'épaule pour chauffer leur habitation, celle de leurs parents et des logements locatifs. «A 182 €/t, l'orge passait encore par rapport au bois, mais à 213 €/t au départ de la ferme, la donne se trouve modifiée.» Jean-Nicolas a fait ses calculs et examiné plusieurs solutions de substitution (voir le tableau ci-dessous).

Habitations juxtaposées

 

A commencer par celle des granulés de bois sachant que, dans ce domaine, les prix sont particulièrement volatils et les fourchettes peuvent être larges d'un fournisseur à l'autre. Il a relevé une offre de grossiste à 206 €/t, chargeable en vrac, plutôt bien positionnée. Mais ce sont des granulés fabriqués à partir de déchets de silos de céréales qu'il a finalement retenus. Jean-Nicolas a acheté une cinquantaine de tonnes de «céréaligrains» (1) auprès de la coopérative agricole Lorraine (Cal). Ce sous-produit composé notamment de son, petits grains liés par de la mélasse, est habituellement vendu en alimentation animale. La Cal l'avait déjà testé il y a une dizaine d'années en tant que combustible, et un voisin agriculteur en a utilisé toute une saison l'an passé dans sa chaudière à céréales (voir le témoignage de Jean-Christophe Clément). «D'après la Cal, cela se rapproche de l'orge. Le granulé qui m'a été livré était propre, sans poussière. Vu le principe d'alimentation de nos chaudières (vis souple deDac) et la qualité de la chambre de combustion, cela ne devrait pas poser de problème. A l'arrivée, nous devrions être au même prix de revient que l'an passé.»

 

Cela fait maintenant deux hivers que la famille Thiébaut et ses locataires se chauffent à l'orge, fourniture d'eau chaude sanitaire comprise. «Pour l'équivalent d'un investissement dans un atelier de taurillons, nous avons choisi de nous engager dans cette voie qui nécessite beaucoup moins de travail que l'élevage», raconte Jean-Nicolas. La question du chauffage s'est posée au travers d'une maison en SCI que nous rénovions en vue d'y aménager deux logements. Elle était juste à côté de celle de mes parents, dont la chaudière avait vingt-cinq ans. Pour ma part, je consommais 6.500 litres par an de fioul et mon frère environ 4.800 litres.»

Au total, trois chaudières à biomasse polycombustibles de haut de gamme (Reka) ont été acquises. Elles peuvent brûler des céréales sans générer de contraintes. Pour les frères Thiébaut, après avoir goûté aux avantages du robot de traite pour leur troupeau, il ne s'agissait pas de retrouver de nouvelles servitudes. Frédéric s'est équipé d'un modèle de 20 kW pour chauffer une maison de 290 m2 (avec 130 m2 de plancher chauffant). Toutes les autres habitations, soit 380 m2 de Jean-Nicolas, la maison des parents (180 m2) et deux logements locatifs (170 m2), sont raccordés à un réseau de chaleur souterrain de 138 mètres de long. En octobre prochain, une autremaison neuve de 115 m2 y sera reliée.

- Ce réseau, qui a vu le jour grâce à la proximité des différents utilisateurs, est alimenté par deux chaudières de 40 kWet 60 kW logées côte à côte dans une chaufferie. «Du printemps jusqu'au début des grands froids, c'est la plus petite qui fonctionne, même durant l'été puisqu'il faut fabriquer de l'eau chaude. Durant l'hiver, c'est l'autre modèle qui prend le relais. Jusqu'à présent, nous n'avons pas eu à les faire marcher ensemble car les températures ne sont pas descendues très bas. Jean-Nicolas se félicite d'avoir suivi le conseil du chauffagiste qui lui a recommandé l'acquisition de deux modèles de petite puissance plutôt qu'une grosse chaudière de 100 kW, car en utilisant des céréales, ces chaudières doivent fonctionner à pleine puissance pour ne pas s'encrasser.

Vers une contrainte de zéro

Jean-Nicolas explique que la conception de la chambre de combustion sur toute la longueur de la chaudière fait que «la céréale est brûlée en totalité». Le foyer étant constitué de grilles animées, les frères Thiébaut ne sont pas confrontés au phénomène de machefer (formation de blocs de silice) et aucun ajout de chaux n'a été nécessaire. «Il nous arrive parfois de trouver un bloc, mais c'est très épisodique.» Afin de se rapprocher du système presse-boutons, les trois chaudières bénéficient d'un décendrage automatique et, sur les deux plus gros modèles, figure un dispositif de nettoyage automatique des turbulateurs par air comprimé. L'entretien est réduit au minimum. «Il faut juste sortir deux brouettes par mois de cendres, ce qui témoigne d'une bonne combustion.»

L'investissement a certes été en conséquence mais le crédit d'impôt de 50% sur la partie chaudière a sérieusement amorti la facture (2). Sur la période du 1er février au 12 novembre 2006, 35,7 tonnes d'orge ont été consommées pour chauffer et fournir en eau chaude environ 700 m2 d'habitations. Cela représente une économie de 4.780 € par rapport à un fioul à 0,66 €/l, en comptant l'orge à 125 €/t. «On ne regrette pas notre choix, lance Jean-Nicolas. Avec le granulé, on retombe sur nos pieds. Demain, on trouvera peut-être autre chose. Le contexte actuel relance l'interêt des sous-produits. Et à une vingtaine de kilomètres, du miscanthus a été planté...»

(1) Sous-produit composé entre autres de son, petits grains liés par de la mélasse, et habituellement vendu en alimentation animale.

(2) Rendues posées, les chaudières ont coûté respectivement 14.900 € TTC (60 kW), 12.600 € (40 kW) et 9.700 € (20 kW). A cela s'ajoute la construction d'une chaufferie spécifique, d'un boisseau de stockage d'occasion de 3.000 € et les branchements et équipements réseau (compteur de calories). Le terrassement a été assuré par les frères Thiébaut.

 

 

 

Témoignage: JEAN-CHRISTOPHE CLÉMENT, Xaffévillers (Vosges)

«Beaucoup de cendres avec Céréaligrains»

D'octobre à à la fin d'avril 2007, Jean-Christophe Clément a utilisé 10 tonnes de granulés Céréaligrains pour chauffer 400 m2. Achetés 80 €/t, il ne regrette pas son choix car le rapport qualité-prix était très correct mais la médaille avait quand même son revers. «J'ai été déçu par la forte proportion de cendres, de l'ordre de 10%,» témoigne l'agriculteur. Il juge que les bouchons sont assez friables mais concède que la configuration particulière de son silo, obligeant à pousser au maximum la soufflerie lors de la livraison, n'a rien arrangé. «Or plus les granulés s'effritent, plus il y a de cendres.» Sa chaudière Benekov V Ling 50 (35 kW) n'étant pas équipée d'un décendrage automatique, il a dû les évacuer régulièrement. «Je suis pressé de voir ce que cela va donner dans la chaudière des Thiébaut, car la combustion devrait normalement y être supérieure.» En attendant, il va se tourner vers le granulé de bois.

 

 

Témoignage: PASCAL SEINGIER, Lumigny-Nesles-Ormeaux (Seine-et-Marne)

«J'utilise des céréales déclassées»

«Je ne me chauffe plus avec du blé. Celam'a servi à mettre en route mon installation le premier hiver, mais depuis deux ans, c'est avec des céréales déclassées que je fonctionne, explique Pascal Seingier. Cet agriculteur dispose d'une chaudière polycombustible conçue et fabriquée par un artisan local, la société Idem. Il chauffe 900 m2 de logements et a besoin d'une trentaine de tonnes de céréales par an. «J'ai utilisé des mélanges (orge et seigle) survenus à la suite d'erreurs de manipulation en silos... Une coopérative m'a fourni des écarts de triage de blé meunier (grains cassés, petit blé, grains à faible PS). Je n'ai pas vu de différence en terme de pouvoir calorifique. Nous, agriculteurs, nous disposons d'un gisement insoupçonné de solutions de substitution. Ce qui se passe en ce moment au niveau des cours va recadrer les choses et redonner une noblesse à ce qui doit en avoir, en l'occurrence nos grains.»

 

 

Témoignage: XAVIER DELOMMEZ, Vicq (Nord)

«Je récupère les siliques de colza»

Après un premier essai concluant en 2006 dans ses chaudières HS, Xavier Delommez a récupéré cette année 30 m3 de siliques sur 23 ha de colza, soit environ 7,5 t. En récoltant le plus sale possible, c'est-à-dire en diminuant les vents à 600 tr/min sur son Axial et en ouvrant les grilles aux trois quarts, puis en passant sa récolte dans un nettoyeur séparateur, il est parvenu à extraire ces siliques, ainsi que des mauvaises graines qui ont été ôtées du champ. Il a passé le double de temps pour le nettoyage. «Les siliques ont un très bon pouvoir calorifique, assez voisin du PCI de la graine, a-t-il mesuré dans sa chaudière. La correspondance en combustion serait d'une tonne de siliques pour 3 t de céréales. Il aurait ainsi récolté plus de 9.000 l d'équivalent fioul, ce qui représente une coquette somme. Du coup, il va suivre avec attention le développement du récupérateur de menues pailles sur moissonneuse. Il lui reste à trouver une solution pour alimenter automatiquement sa chaudière, car elle n'est pas équipée d'un système antivoutage comme les modèles à plaquettes de bois.

 

 

Témoignage: JÉRÔME DES DIGUÈRES, Vernou-La-Celle-sur-Seine (Seine-et-Marne)

«Je vise des lots impropres à l'alimentation»

Régisseur de la propriété familiale, dont un château, plusieurs logements locatifs et des terres, Jérôme des Diguères a besoin d'une centaine de tonnes de céréales par an pour approvisionner sa chaudière biomasse. «J'ai vendu mon blé alimentaire et je suis actuellement en négociation pour des lots de blé déclassé.» Parmi les propositions à l'étude, il y a du blé germé et des lots dont la teneur en mycotoxines est trop élevée. «Une cellule a été réservée à la collecte de produits impropres à la consommation alimentaire.» Malgré la flambée des cours, Jérôme des Diguères et sa famille ne regrettent pas d'avoir investi dans une telle solution. «On va peut-être amortir notre installation un peu moins vite que prévu. Mais le Peak Oil (1) est pour bientôt. Entre 2009 et 2012, on n'aura certainement plus de fioul à 62 centimes.»

(1) Pic de production du pétrole.

 

2. Leur polyvalence fait leur force

Capables de brûler ce qu'il y a de plus difficile (les céréales), ces chaudières acceptent souvent un large éventail de biocombustibles, dont les agropellets.

Qui peut le plus, peut le moins. La plupart des chaudières fonctionnant avec des céréales sont capables d'absorber d'autres biocombustibles. Ce qui permet aux utilisateurs de ne pas être dans une impasse face à la flambée des cours. Techniquement, cela s'explique par l'histoire de ces chaudières, mises au point en Scandinavie, sur la base de chaudières automatiques à granulés de bois. Les céréales étant beaucoup plus exigeantes que le bois en termes de contraintes de combustion, on peut donc facilement et sans modification basculer d'une utilisation vers l'autre mais non l'inverse.

Il y a toutefois une limite à cette généralité, à savoir la conception du système d'alimentation et l'importance du volume de stockage. Certains équipements spécifiques doivent avoir été prévus pour brûler de la plaquette de bois: dispositif antivoutage, diamètre suffisant de la vis d'alimentation. L'humidité du produit ne doit pas non plus dépasser un certain seuil (30% par exemple dans les chaudières des frères Thiébaut). Les réglages doivent bien sûr être adaptés au nouveau combustible (cela se fait souvent par des programmes). Mais à ces bémols près, on peut envisager de brûler des granulés, des copeaux, de la sciure, des sous-produits végétaux divers et variés...

«J'ai une chaudière capable d'accepter des produits plus basiques et moins chers que les granulés», témoigne Marc Lamoureux, agriculteur à Fresnoy-en-Thelle (Oise) et par ailleurs revendeur de la marque Heizomat. Il a prévu d'y mettre de la paille de lin, des poussières de maïs, du bois déchiqueté. L'imagination des utilisateurs apparaît sans limite dans la mesure où l'on est en train de rentrer dans uneéconomiederecyclage,sous le double aiguillon du pétrole et de la flambée desmatières premières.

Cap sur les agropellets

«La plupart de nos clients se sont retournés vers le granuléde bois et vers l'agropellet, qui commence à apparaître sur le marché, commente Dominique Gross, représentant français des chaudières Verner. Ce dernier y voit le combustible de demain. Par un mélange approprié de matières premières moins coûteuses que le bois (1), il s'agit d'obtenir des granulés ayant un pouvoir calorifique le plus élevé possible, tout en conservant un taux de cendre raisonnable (entre 2 et 3%). La contrepartie, c'est tout de même plus de cendres que de bons granulés de bois (entre 0,5 et 1%) et la formation possible de machefer à la combustion suivant la composition de l'agropellet.

Avec son granulé végétal Calys (5.000 kWh/t), Ragt revendique de ne pas faire de machefer et de diminuer de 80% les vapeurs acides par rapport à des céréales. Il faut 2 tonnes de Calys à 184 €/t pour remplacer 1.000 litres de fioul.

(1) Ecarts de triage, grains cassés, paille, rafles, son, fanes, miscanthus, panic érigé...

 

Pourquoi c'est plus compliqué avec des céréales

La combustion des céréales impose de régler plusieurs problèmes:

- La production de machefer, c'est-à-dire de blocs de silice et de minéraux compacts se formant par fusion des cendres et qui risquent d'étouffer le foyer ou de bloquer l'évacuation des cendres. La quantité de machefer varie selon les types de sols sur lesquels ont été produits les grains, via leur teneur en silice. Le blé et le triticale sont réputés pour en produire le plus, contrairement à l'orge et à l'avoine, dont le point de fusion est plus haut.

- La corrosion de la chaudière (perçage) et du conduit de la cheminée en raison des acides présents dans les fumées (acides chlorhydrique et sulfurique). Pour des installations de puissance modeste, les concentrations en acides ne sont pas suffisantes au point de poser «un réel problème environnemental (source: Ademe)».

Il n'existe pas, pour l'instant, de normes d'émission pour un fonctionnement avec des céréales (puissance inférieure à 2 mégawatts). Ces chaudières rejettent surtout des oxydes d'azote et des poussières.