Quand chasseurs et agriculteurs agissent ensemble
Dans la Meuse. Pour réduire les dégâts coûteux et préjudiciables, un partenariat a vu le jours.
En compagnie d'une demi-douzaine de chasseurs, Claude Chrétien s'applique à terminer de poser la clôture électrifiée autour d'une parcelle de 25 ha située en bordure de forêt. "C'est beaucoup de travail, de temps et d'entretien, mais cela permet au moins de protéger les cultures", confie-t-il. Claude Chrétien est en Gaec avec son frère sur une exploitation de polyculture-élevage à Chardogne, dans le sud de la Meuse, une région où prairies et plateaux cultivés s'imbriquent dans des massifs forestiers. Chasseur, "mais agriculteur avant tout", il est préoccupé depuis quelques années par la protection de ses cultures, spécialement de maïs: "Dès les semis et jusqu'au stade laiteux du grain, il faut rester très attentif", explique-t-il.
Les effets aggravants de la tempête
Dans le département de la Meuse, près de 4.000 ha de parcelles de maïs, particulièrement exposés aux visites des sangliers, sont ainsi clôturés chaque année. La protection de ces cultures fait partie des nombreuses dispositions prises, en concertation par chasseurs et agriculteurs, pour réduire les dégâts causés par le grand gibier.
Les 10.000 chasseurs de la Meuse (7.000 locaux et 3.000 extérieurs) supportent une facture d'indemnisation particulièrement lourde, de l'ordre de 9 MF. "Dans un département couvert pour plus d'un tiers de grands massifs forestiers au milieu d'une agriculture productive à structures étendues, cela créé un mélange détonant", explique Philippe Vuillaume, directeur de la fédération départementale des chasseurs.
Comme partout en France, les effectifs de sangliers sont en constante progression et la tempête de à la fin de 1999 a constitué un facteur aggravant, créant dans les chablis de nombreuses zones inextricables où le sanglier a pu se développer tout à son aise. "Nous n'avons pas suffisamment compensé les prélèvements dans ces zones, une fois nettoyées. Nous atteignons les limites de ce qui est supportable. Pourtant, nous assistons, depuis trois ans, à une stabilisation des dégâts", observe Philippe Vuillaume. "Stabilité, certes, mais à un niveau encore trop élevé", rétorque Dominique Lebée, vice-président de la chambre d'agriculture, en charge du dossier relatif aux dégâts de gibier, tout en reconnaissant les efforts réalisés par les chasseurs.
Dans la Meuse, représentants des chasseurs et des agriculteurs oeuvrent en partenariat pour peser sur les effectifs de sangliers et réduire significativement les dégâts. Depuis 1997, ils se retrouvent régulièrement dans le cadre de comités techniques locaux (14 CTL en tout) pour discuter, entre autres, des attributions (et des prélèvements minimaux à effectuer) liées au plan de chasse au sanglier. "Cela n'est pas toujours facile, c'est même parfois tendu. Les CTL ont au moins le mérite de mettre tout le monde autour d'une table pour évoquer les problèmes localement. Avec le recul, le bilan est globalement positif. Sur le plan local, le partenariat a conduit à des estimations des dégâts plus objectives, même si, en matière d'indemnisation, il reste encore des progrès à faire sur les pâtures pour couvrir intégralement les conséquences des dégâts", commente Dominique Lebée.
Un ensemble de mesures pour gérer le sanglier
Il reste que chasseurs et agriculteurs sont rarement d'accord sur l'importance des prélèvements à opérer: "Ces deux dernières années, la profession agricole a exercé une pression très forte. Sur le terrain, les chasseurs le vivent mal. Ils ont l'impression que les agriculteurs et la DDA imposent leur loi", confie Michel Thomas, président de la fédération départementale des chasseurs, en ajoutant "l'expansion pléthorique du sanglier semble enrayée désormais. Il nous faut entamer la baisse. C'est un impératif, car nous sommes au maximum de ce que nous pouvons financièrement demander aux chasseurs."
Un ensemble de mesures complémentaires ont également été prises, conjointement, pour accompagner le plan de chasse obligatoire et accentuer les prélèvements. Il s'agit par exemple d'autoriser la chasse dans les zones réservées, ou peu chassées, là où le sanglier sait très bien se réfugier et se reproduire. D'inciter à tirer les femelles adultes, qui sont à l'origine de l'explosion des effectifs. Ou de fournir la possibilité d'empêcher les sangliers de sortir de leurs bois pour envahir, l'été, les parcelles cultivées, en autorisant le tir d'été, dès le 1er juin en chasse individuelle. Ou encore, d'augmenter les périodes de chasse afin d'améliorer les plans de tir.
En fait, toutes dispositions qui impliquent, de la part des chasseurs, une modification de leurs pratiques. De plus, dans les secteurs particulièrement ciblés, générateurs de dégâts importants, outre des sanctions financières, il est possible d'imposer un contrôle des plans de tir afin de vérifier que les prélèvements minimaux sont bien réalisés.
Et si toutes ces mesures "d'incitation" ne suffisent pas à convaincre les plus récalcitrants, il est encore possible de recourir aux solutions extrêmes comme les tirs ou les battues administratives organisées sous la responsabilité de lieutenants de louveterie.
De la pénurie à l'abondance
De nombreuses causes expliquent la progression des populations de sangliers.
Le sanglier est une espèce très dynamique dont le taux de croissance peut varier entre 60 et 200%. Il est très difficile d'apprécier la dynamique de développement des populations. Le sanglier ne connaît pas de prédateurs et s'adapte très intelligemment à son environnement. Dès lors qu'il dispose de quiétude, d'eau et de ressources alimentaires en quantités suffisantes, il peut se reproduire sans entrave. En fait, l'homme est le seul régulateur de cette espèce.
De nombreuses causes concourent à la progression incontrôlée des populations. Dans certaines régions, la chasse est devenue un enjeu économique non négligeable. La hausse des loyers dans les grandes chasses privées rend la pratique très coûteuse et pousse les gestionnaires à accroître les effectifs pour offrir à leurs actionnaires des tableaux de chasse satisfaisants. Ceux qui fréquentent ces sociétés veulent bien payer, mais ils veulent pouvoir disposer de gibier en abondance.
Une révolution culturelle à effectuer
En outre, les habitudes de tir et les modes de gestion hérités d'une époque où le gibier faisait défaut restent ancrés chez les chasseurs: temps de chasse restreint, tir d'un nombre insuffisant des animaux, respect des reproducteurs, création de zones de refuge pour laisser le gibier se reproduire, nourrissage artificiel… "Les chasseurs se sont longtemps imposés des contraintes. Ils restent fidèles à des stratégies qui leur ont permis de faire remonter les populations. Il y a une véritable révolution culturelle à opérer pour changer les comportements et gérer aujourd'hui l'abondance comme ils ont su gérer, hier, la pénurie", observe Benoît Guibert, chef du service des dégâts de gibier à la Fédération nationale des chasseurs.
La disparition progressive du petit gibier en plaine a également poussé de nombreux chasseurs à se tourner vers le sanglier, contribuant ainsi à développer la gestion de ce gibier sur de nombreux territoires. Enfin, les chasseurs pointent également du doigt la modification des pratiques agricoles et le développement des cultures de maïs qui a fourni au sanglier une manne alimentaire dont il a su profiter.
Les risques sanitaires explosentLa croissance des effectifs présente des risques sanitaires. Plus la densité des populations est forte, plus le risque d'apparition de pathologies est élevé. Un rapport conjoint des ministères de l'Ecologie et de l'Agriculture (1) fait état de ces risques: "Le sanglier s'est révélé un réservoir de germes pour la tuberculose, la brucellose, la maladie d'Aujesky et la peste porcine classique", peut-on y lire. Diverses questions se posent comme la possible contamination des élevages de porcs en plein air par des sangliers infectés qui constitue une menace potentielle pour la filière porcine ou encore des risques pour la santé humaine, notamment en cas de consommation de viande de sanglier atteint de trichinellose. (1) Evaluation des risques liés à l'augmentation des densités des sangliers sauvages en France, septembre 2003. |
Gérer les populations en imposant des prélèvements minimaux
Dans les Ardennes. Pour la première année, le département s'est doté d'un plan de chasse obligatoire du sanglier sur tout le territoire.
"Trop de sangliers nuit à tout le monde, aux agriculteurs en premier lieu, mais aux chasseurs également. Mais pas assez, cela ne va pas non plus. Il faut trouver le bon équilibre." En ses qualités de chasseur et d'agriculteur retraité, Régis Arnould a le souci de préserver au sein du monde rural de bonnes relations entre le monde agricole et celui de la chasse.
Président de la fédération départementale des chasseurs des Ardennes, un département dont l'emblème est précisément le sanglier, il veut éviter que la bête noire ne devienne la pomme de discorde entre les chasseurs "qui vivent leur passion" et les agriculteurs "qui exercent leur métier".
Convaincre chasseurs et agriculteurs
Il a mis son enthousiasme au service d'un outil susceptible d'apporter une réponse au délicat problème de la maîtrise des populations. Il lui a fallu prendre son bâton de pèlerin pour convaincre chasseurs et agriculteurs des bienfaits de sa démarche.
Les premiers voyant dans cet outil une contrainte, voire une atteinte à la libre pratique de leur loisir, les seconds craignant que cela ne conduise à accroître encore les effectifs.
Dans chaque zone cynégétique, un comité de pilotage composé de représentants de l'Administration, de chasseurs et d'agriculteurs propose des objectifs de prélèvements en fonction des niveaux de population estimés selon divers indices (comptages, dégâts agricoles...). Ces objectifs, validés au niveau départemental et officialisés par la signature du préfet, donnent lieu à des attributions minimales et maximales. Autrement dit, chaque société de chasse se voit contrainte de prélever un minimum de sangliers.
Le plan de chasse permet, en outre, de dégager un financement pour l'indemnisation des dégâts. A chaque attribution correspond un bracelet dont les chasseurs doivent s'acquitter (prix unique de 10 euros l'unité dans le département des Ardennes). "Dans les secteurs où le plan de chasse est en place depuis plusieurs années, on connaît les populations et on parvient à stabiliser les dégâts dans une fourchette acceptable. Désormais, avec le plan de chasse généralisé, ceux qui laisseront les populations exploser prendront le risque de se voir imposer des niveaux de prélèvement en conséquence", prévient-il.
Un bonus-malus pour responsabiliser les chasseursAgir sur les populations est une chose, financer les dégâts en est une autre. Le problème qui se pose aux fédérations de chasse est de répartir le coût de l'indemnisation entre leurs adhérents. Le timbre grand gibier et les bracelets (dans le cadre d'un plan de chasse) pourvoient à ce financement. Mais certaines fédérations vont plus loin en mettant en place un système de taxation dans les secteurs sensibles, générateurs de gros dégâts. C'est le cas dans les Vosges. "Jusqu'en 2000, nous contrôlions la situation. Avec une enveloppe annuelle de dégâts de 600.000 €, nous étions à un équilibre acceptable. Mais, aujourd'hui, nous atteignons 900.000 €. Pour financer ce surcoût, nous avons institué l'an dernier un système de taxation des hectares boisés en fonction de l'importance des dégâts causés dans les unités de gestion", explique Jean Begel, directeur de la fédération des chasseurs. Schématiquement, une taxe progressive a été instaurée (entre 0,5 et 4 €/ha), les zones produisant le plus de dégâts étant les plus pénalisées. Cette année, le dispositif a été affiné par un mécanisme de bonus-malus qui permet, à l'intérieur d'une zone pénalisée, de tenir compte des efforts réalisés par certains (en appliquant un abattement de 20 à 50% sur la taxe) ou, au contraire, de responsabiliser les chasseurs récalcitrants en prévoyant une surtaxe de 10 à 20%. |
Protéger les cultures
Dans le Tarn. Ce département joue résolument la carte de la prévention avec les clôtures électriques et les cultures à gibier dissuasives.
"Pendant deux années de suite, je me suis retrouvé avec mes cultures de tournesol détruites à 100% par les chevreuils. La clôture électrifiée posée depuis tout autour de la parcelle a permis de les tenir à l'écart. Je n'ai plus de problème. Heureusement qu'il n'y a pas trop de sangliers dans le secteur, car je ne sais pas si la clôture suffirait à les dissuader", confie Jean-Claude Aurel, éleveur laitier dans le Tarn, qui exploite une parcelle de 8 ha en lisière du massif de Grésigne, sur la commune de Larroque. Dans ce département qui allie massifs forestiers, montagnes, vignes et plaines, la pression du grand gibier reste tolérable. A l'exception de quelques explosions ponctuelles qui ont dû, dans le passé, être traitées par des battues administratives, les sociétés de chasse, essentiellement communales, parviennent à gérer le sanglier. Il s'y prélève, bon an mal an, une moyenne de 3.000 sangliers.
Dans un tel contexte, la politique de prévention mise en oeuvre par la fédération départementale des chasseurs peut jouer son rôle. Un budget équivalent à celui réservé aux indemnisations (soit 80.000 €) est spécialement alloué à la prévention des dégâts. "Une part importante est consacrée aux clôtures électriques que nous mettons à la disposition des agriculteurs. En principe, ces clôtures sont installées par les sociétés de chasse, à charge pour les agriculteurs de les entretenir, en désherbant sous le fil pour préserver une bonne efficacité et en rechargeant la batterie lorsque le poste n'est pas branché sur le secteur", explique Christophe David, technicien de la fédération.
Des cultures à gibier
Pour Christophe David, une clôture implantée au bon moment, de préférence avant les semis, et correctement installée permet de tenir le grand gibier à l'écart, du moins tant que la pression n'est pas trop forte. "Il est important de prévoir au moins trois fils ou trois rubans. Le plus bas à 25-30 cm du sol pour empêcher les sangliers de s'y engouffrer et les autres à 90 et 130 cm pour éviter que les cerfs ne puissent sauter par dessus", explique-t-il.
Les chasseurs préconisent également l'implantation de cultures à gibier, en maïs ou en mélange maïs-sorgho dans des parcelles disposées autour des massifs, voire même à l'intérieur, afin de cantonner les animaux. Une multitude de petites parcelles sont ainsi implantées, représentant l'équivalent d'une centaine d'hectares.
L'agrainage dissuasif doit obéir à des règles précisesL'agrainage fait également partie des procédés de prévention mis en place par les chasseurs. Lorsqu'il est correctement pratiqué, il permet de cantonner les animaux en forêt pendant la période où les cultures sont particulièrement appétentes. Pour conserver son caractère dissuasif, certaines règles doivent être respectées. La distribution ne doit pas être réalisée à poste fixe, mais en ligne et épandue de façon homogène sur l'ensemble du territoire concerné. L'agrainage doit être effectué à distance respectable des parcelles agricoles (en principe pas à moins de 200 ou 250 mètres). Il ne doit pas intervenir dans les zones non boisées ni dans des bois d'une superficie insuffisante d'un seul tenant (50 ou 60 hectares généralement). Cela dans le but d'éviter les pratiques qui consistent à attirer les animaux dans de petits secteurs boisés, rendant ainsi les territoires agricoles aux alentours particulièrement exposés. De plus en plus de départements transcrivent ces règles dans des chartes d'agrainage. Certains d'entre eux ont même rendu ces chartes obligatoires par arrêté préfectoral. En dehors de ces règles, l'agrainage relève du nourrissage du gibier. |