En France, le phénomène des démontages ou des échanges de robot concerne des éleveurs mais aussi les organismes de recherche et organisations professionnelles. Ainsi, la station Inra d'Orcival (Puy-de-Dôme) a choisi d'échanger son Manus d'ancienne génération «qui ne donnait pas satisfaction» contre un AMS «plus fiable». Dans le Calvados, l'Unog (Union Nord-Ouest génétique) a préféré se séparer de son robot Gascoigne-Melotte pour revenir à la traite conventionnelle.

Pour le reste, quelques éleveurs ont négocié ou sont en cours de négociation pour la reprise de leur robot. «Nous totalisons à ce jour trois cas de reprise amiable, reconnaît sans détour Jean-Maurice Bouquet, directeur commercial chez AMS. Un premier cas où l'éleveur voulait maintenir l'accès au pâturage pour son troupeau, mais une route compliquait les déplacements des animaux. Un deuxième cas où il n'a pas été possible de placer le robot là où nous le souhaitions. A cause des exigences d'un propriétaire, il y avait une trop grande distance entre l'extrémité du bâtiment et l'automate. Enfin, dans le troisième cas, l'incompatibilité entre l'éleveur et la traite automatisée était manifeste. «Car, renchérit Sjaak Bronkhorst, chef de produit chez AMS, n'importe quelle marque pourra installer le meilleur robot du monde chez un éleveur. Si ce dernier n'adopte pas pleinement le concept, ça ne marchera pas. Il faut entre trois et sept jours pour qu'une vache se familiarise avec l'automate. Pour l'éleveur, cela demande entre trois semaines et... jamais.» Dans ces trois cas, les élevages sont revenus à la traite classique. Ces quelques situations de reprise amiable, parce qu'elles ne sont pas faciles à vivre, ni pour l'éleveur, ni pour son fournisseur, ont conduit l'entreprise à revoir sa politique commerciale. «Au départ, notre première erreur a été de montrer le robot comme un outil qui libérait totalement l'éleveur, admet Jean-Maurice Bouquet. Or l'installation demande un suivi quotidien. Pour que le candidat à la traite robotisée ait bien connaissance de ce qui l'attend, nous éditons un guide qui s'appuie pour beaucoup sur l'expérience d'éleveurs déjà équipés. Ensuite, cet éventuel acheteur aura affaire à un commercial de l'entreprise, accompagné d'un responsable technique. Ce dernier devra apprécier la possibilité technique d'installer le robot, mais surtout la capacité de l'éleveur à travailler avec le matériel. Aujourd'hui, il est clair que nous n'installerons pas de robot chez un agriculteur à l'égard duquel nous avons des doutes quant à sa capacité à intégrer ce concept de traite et de conduite du troupeau. Car force est de constater qu'il existe des éleveurs qui conservent une mentalité «salle de traite» trop ancrée. Ils passent plus de temps à surveiller le robot qu'ils n'en consacraient à la traite classique. Ils se sentent obligés d'intervenir dès que l'appareil a du mal à détecter les trayons et poser le faisceau. Pire, certains continuent de travailler avec la salle de traite pour les vaches avec lesquelles le robot connaît quelques soucis. Comme l'automate ne se remet pas en mémoire régulièrement les paramètres de ces vaches, il n'en est que plus inefficace par la suite. C'est la raison pour laquelle nous démontons la salle de traite dès que le robot est mis en marche. D'autre part, nous mentionnons noir sur blanc tout ce à quoi l'éleveur et son fournisseur s'engagent. Au début, ce contrat tenait sur trois pages. Aujourd'hui, il en compte vingt.»

«Ensuite, poursuit Jean-Maurice Bouquet, tout éleveur passé à la traite automatisée doit être parfaitement rassuré quant à la capacité de son fournisseur à assurer le service après-vente. Un robot peut en effet tomber en panne, mais il ne doit pas rester en panne. Pour la France, nous avons défini six zones en dehors desquelles nous nous interdisons de vendre un robot. Chaque zone est délimitée afin que les techniciens d'intervention ne mettent pas plus de deux heures à les parcourir d'une extrémité à l'autre.»

L'ensemble de ces mesures, que l'on retrouve désormais chez la plupart des marques présentes sur le marché du robot de traite, devrait à terme réduire le nombre de cas litigieux. Ces quelques situations difficiles mises à part, Jean-Maurice Bouquet affiche une certaine sérénité: «Trouvez-moi un éleveur muni d'un robot qui accepterait de revenir en arrière.»

 

Justice: deux procédures en cours

Le vieux continent se pose comme le berceau des deux milles robots de traite aujourd'hui diffusés dans le monde. La France en totalise 182 installés ou en instance d'installation. Lely en compte 113, AMS 48, Gascoigne-Melotte 10, Packo Fullwood 6, Manus 2, DeLaval 2, Westfalia 1.

A ces sept marques en lice s'ajoute un dernier venu: Hokofarm-Insentec qui a dévoilé son Galaxy au dernier Sima. Rappelons que Packo Fullwood, et depuis peu Boumatic, fabriquent et distribuent sous licence des robots de technologie Lely et que les AMS, Manus et Gascoigne-Melotte ont en commun une robotique développée par Prolion. Cette firme néerlandaise, les sociétés AMS et Gascoigne-Melotte ont toutes trois le même actionnaire: Tracko, un groupe lui aussi néerlandais.

Aux dires des différents intervenants, le marché du robot se porte plutôt bien. Les sites de fabrication tournent à plein pour répondre à une demande qui n'est plus seulement européenne: l'Amérique du Nord s'ouvre à ce marché, mais aussi l'Asie, et notamment le Japon.

Tout se passerait donc pour le mieux dans le monde de la traite robotisée? Pas tout à fait. Il existe des élevages où l'échec est patent. Aux Pays-Bas, au Danemark et en France – les trois pays européens les plus équipés – au moins une vingtaine de robots auraient été démontés. Cela se passe le plus souvent dans le cadre d'un accord amiable entre l'éleveur et son fournisseur. Au vu des dommages qu'ils ont constatés sur leur troupeau, d'autres éleveurs ont choisi un recours en justice. En France, deux procédures sont aujourd'hui en cours: l'une implique la société AMS, l'autre Gascoigne-Melotte. Au stade où en est l'instruction de ces deux dossiers, et sur conseil de leurs avocats respectifs, les deux éleveurs ne sont pas en mesure, pour l'instant, d'apporter leur témoignage. Affaires à suivre...

 

Franchir le cap des premiers mois

Les agriculteurs qui ont investi dans un robot de traite s'accordent tous à dire que les soixante à cent vingt jours qui suivent la mise en route sont absolument cruciaux. Après une période euphorique d'installation et de démarrage, où la stabulation a grouillé en permanence de techniciens et d'assistants, l'éleveur se retrouve seul avec un automate qui lui fait encore un peu peur. Il est fatigué et peut être en proie au doute. Un phénomène très répandu dans les semaines qui suivent un gros investissement. Il est aussi relativement isolé, l'arrivée du robot étant parfois la source de jalousies dans le voisinage et chez des confrères. A cela s'ajoute souvent la circonspection de certaines organisations professionnelles face au robot. Le moindre incident qui se produit durant cette période peut donc avoir des conséquences graves si le fournisseur du robot ne réagit pas rapidement. C'est la raison pour laquelle est apparu un nouveau métier au sein de quelques entreprises qui diffusent des robots: le «technicien d'accompagnement». Celui-ci doit être présent autant de fois et aussi longtemps que c'est nécessaire pour dissiper toutes les craintes de l'éleveur, quitte à l'emmener voir un confrère qui a vécu pareille situation. Cela démontre que la traite robotisée se pose comme un domaine réservé aux entreprises ayant une notion très développée du service. Amateurs s'abstenir.

 

Temps de travail: le robot et le personnel salarié, une nouvelle forme d'astreinte

Procédure en cours oblige, Raphaël Lucchesi, directeur commercial et marketing de Gascoigne-Melotte, ne s'exprimera pas sur le différend qui oppose l'entreprise à un éleveur équipé d'un robot de la marque. «Pour ce qui est du démontage que nous avons eu à assumer l'an dernier, il pose le problème de la mise en place d'un robot et de son acceptation dans une structure qui compte beaucoup d'intervenants: conseil d'administration, dirigeants de plusieurs niveaux et salariés, en comparaison avec une exploitation familiale. Le robot soulève la question de l'astreinte et de la prise en compte du temps consacré aux interventions qui peuvent être nécessaires en dehors des heures habituelles de travail. Quoiqu'il en soit, le problème de ce robot qui fonctionnait très bien sur le plan de la traite proprement dite était surtout lié à la qualité du lait sur cette exploitation qui transforme elle-même en fromage une partie de sa production. D'ailleurs, à la lumière d'une expertise menée par l'Institut de l'élevage, il a été déterminé que l'origine des problèmes était multiple.»

Gascoigne-Melotte vient par ailleurs de créer une société filiale, GM Zénith, spécialement consacrée à l'activité robot. Les concessionnaires interviendront lors de la vente et l'installation du matériel, mais ce sont les techniciens spécialisés, rattachés à cette nouvelle structure, qui assureront le suivi technique, la maintenance et les dépannages. A côté de cette équipe de techniciens a été créé un poste de responsable de la formation des éleveurs. Sa mission est d'accompagner les clients avant la mise en service de l'installation, puis pendant la période qui suit son démarrage.