En 2022, 32 ans après le diagnostic de cancer, Danièle Godefroy entame une demande de reconnaissance en maladie professionnelle pour son mari aujourd’hui décédé. Ses difficultés témoignent de la lente évolution de la prise en compte des maladies professionnelles en agriculture.
C’était un mari qui avait du caractère. Yves, « psychologiquement, il était fort », aime se remémorer sa femme, Danièle Godefroy. Et du caractère, il en faut pour affronter le parcours du combattant de plus de vingt années de démarches pour faire reconnaître l’origine professionnelle de sa maladie. « Yves était un beau mec, le plus beau mec de la région », assure Danièle Godefroy. (© Florian Salesse) Danièle Godefroy s’était installée avec lui dans un petit élevage laitier en Creuse au début des années quatre-vingt, après qu’il a travaillé déjà dix ans dans un autre Gaec. Elle faisait la traite et fabriquait le fromage, lui s’occupait des cultures et de l’alimentation du troupeau.« On a travaillé dix ans ensemble avant qu’il ne tombe malade. Il avait 43 ans. » Sa maladie, une leucémie aiguë myéloblastique, est un cancer du sang, désormais reconnu au tableau des maladies professionnelles n°19 en lien avec les produits phytosanitaires.« Dans les années quatre-vingt-dix, les hématologues savaient que les paysans étaient victimes des pesticides mais on n’en parlait pas. Le fait qu’il soit agriculteur était un des facteurs de déclenchement de sa maladie, d’après le médecin. Mais il n’y a pas eu d’enquêtes sur les produits qu’il avait utilisés. »Pendant cinq ans, le couple se bat pour maintenir à flot l’exploitation. Les amis donnent un coup de main. Leur salarié passe à temps plein. Ils embauchent une fromagère à mi-temps.Cinq ans avant la première aideLa ferme tourne bien grâce à la vente directe de fromage, mais sans aide de la MSA. « On s’est débrouillé », traduit l’ancienne agricultrice. En 1995, Yves, qui « ne pouvait plus rien faire » reçoit finalement sa première pension d’invalidité, cinq ans après le diagnostic. Un courrier d'un médecin à un autre pour en informer de la maladie d'Yves, le mari de Danièle. (© Florian Salesse) L’année suivante, l’ouvrier reprend la ferme. Sur l’exploitation, Danièle Godefroy « n’en pouvait plus ». La seule lumière dans ce brouillard vient de l’assurance liée aux prêts. Elle prend en charge les annuités de l’exploitation.En 2007, Yves se bat toujours contre les effets secondaires d’une greffe, arrivée 12 ans plus tôt. Il décide de faire une première demande de reconnaissance de maladie professionnelle auprès de la MSA encouragé par son médecin traitant. La réponse, une simple lettre, désormais plastifiée pour se souvenir, tombe comme un couperet.« Nous ne pouvons étudier cette demande car vous n’avez pas été affilié auprès de la MSA pour le risque […] maladie professionnelle », se souvient mot pour mot Danièle Godefory. Aujourd’hui, elle ne parvient toujours pas à déterminer si ces cotisations particulières n’existaient pas ou si le couple avait modifié son statut en cotisant solidaire, et de fait, ne cotisait pas pour les maladies professionnelles. Une énigme sur laquelle la MSA ne lève pas le voile, interrogée par La France agricole. Il n’empêche que « quand on reçoit ça de la MSA, […] c’est affreux », s’étrangle celle pour qui, 17 ans plus tard, l’émotion est toujours aussi vive. La lettre de refus reçue de la MSA en 2007. (© Florian Salesse) Un dossier interrompuUne amie leur parle de Phyto-victimes qui est « en train de se créer en Charentes », se souvient Danièle. « Yves est allé tout seul là-bas, alors qu’il était déjà très très malade » pour rencontrer l’association naissante.Le couple décide de renouveler la demande de reconnaissance en 2012, épaulé par le cabinet d’avocat qui accompagne l’association. Le professeur de la médecine du travail met plusieurs mois avant de rendre son compte rendu. « Yves est mort en octobre 2013, on n’a pas finalisé ce dossier. C’est resté comme ça », se souvient-elle. Jusqu’en 2022.À ce moment, le cabinet d’avocats recontacte l’ancienne agricultrice. Il est le « seul informé » que le FIVP (1) propose aux victimes de redéposer une déclaration de maladie professionnelle avant le mois de décembre. En six mois, Danièle Godefroy se replonge dans tous les documents, « une chance que je les ai gardés ». Danièle a précieusement conservé les nombreux documents médicaux et administratifs au sujet de la reconnaissance de maladie professionnelle de son mari. (© Florian Salesse) Accompagnée par l’association, « sans qui [elle] ne l’aurait pas fait », Danièle Godefroy dépose son dossier rapidement. À cette occasion, elle découvre qu’elle a droit à une participation aux frais d’obsèques et à une indemnisation permanente en tant qu’ayant droit de la victime. Une réparation, « qui ne guérit pas la douleur ». Mais avec ses filles, la demande de reconnaissance relève de la nécessité. « On voulait que cela se sache. Qu’il était mort des produits phytosanitaires. Qu’il ne fallait pas que l’hécatombe continue. »(1) FIVP : Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides