La ferme biologique des Cent fontaines a été transmise, non sans difficultés, à quatre repreneurs dont trois sans lien de parenté avec le monde agricole.
Au cœur du Châtillonnais, en Côte-d’Or, se trouve la Ferme des Cent fontaines cultivée en agriculture biologique depuis vingt et un ans. En 2019, Gilles Guilleminot, qui tient seul l’exploitation, décide de partir à la retraite. Il entame des démarches pour céder ses 147 ha avec l’organisme Terre de liens, un parcours loin d’être un long fleuve tranquille.Ils sont aujourd’hui quatre sur l’exploitation, dont trois qui ne sont pas issus du milieu agricole. Chacun possède son propre atelier. Marion Baude-Pausin conduit un troupeau laitier de sept vaches sur 35 ha avec transformation fromagère depuis 2021. Sur 80 ha, Nicolas produit blé, orge, tournesol et lentilles depuis 2022. La même année, Anne-Charlotte Blanchot s’installe pour cultiver 1 ha de roses et de sureaux, suivie en 2024 par Sophie Gaujard avec des plantes aromatiques et médicinales (3,8 ha).Des difficultés à recruterÀ 68 ans passés, il était temps pour Gilles Guilleminot de vendre. « Je ne voulais pas que la ferme soit fragmentée en mille morceaux ou qu’elle parte à l’agrandissement », témoigne-t-il. À ce stade, il souhaite également maintenir l’exploitation en agriculture biologique et installer des ateliers de transformation. Son frère Michel lui parle alors de l’association Terre de liens qui propose de racheter les bâtiments et les parcelles pour les louer ensuite. Peu de temps après, Gilles rencontre Marion qui souhaite s’installer. Il connaît déjà Nicolas, lequel lui rend service sur la ferme depuis près de quinze ans. Il ne reste plus qu’à recruter quelques personnes supplémentaires.https://www.dailymotion.com/video/k1jO3z1XB7CUQPCuOCoTrouver des candidats est une chose, rester fidèle à son idéal en est une autre. « Gilles voulait un paysan boulanger, pour que l’exploitation revive comme à l’époque de ses grands-parents, témoigne Marion. Il avait un idéal. Cela ne s’est pas passé exactement comme prévu parce que nous n’avons pas trouvé beaucoup de monde intéressé par l’installation. Nous avions du mal à recruter car les candidats ne pouvaient pas habiter sur place, et cela les bloquait. »Un nouveau départRecruter n’a pas été la seule difficulté dans la transmission. « Au départ, Terres de liens ne voulait pas acheter tout le bâtiment, car il n’était pas possible de tout rénover d’un point de vue financier, confie Marion. Il s’agit de l’exploitation familiale, et cela n’est pas toujours facile à entendre. La famille s’est dépossédée d’un bien qu’elle détient depuis trois générations. »L’achat du foncier par Terre de liens n’était qu’une première étape. L’arrivée de Marion au sein de la ferme s’est faite non sans quelques difficultés. « Le jour où j’ai dit à Gilles que maintenant il fallait vider les bâtiments pour que je puisse vraiment prendre mes marques, c’est devenu concret pour lui aussi », explique-t-elle.« Je pense que cela n’était pas si simple : il y a quelqu’un qui arrive d’un coup, qui veut faire des travaux, qui veut tout changer, poursuit Marion. On ne se comprenait pas toujours sur les dates de fauche. La fromagerie est aussi un métier qu’il ne connaît pas et qui prend beaucoup de temps. Nous ne sommes pas de la même génération, mais cela s’est bien passé dans l’ensemble. » Marion Baude-Pausin conduit un troupeau laitier avec transformation fromagère depuis 2021. (© Laurent Theeten) Presque ensembleQu’en est-il de la relation entre les repreneurs ? Selon Marion Baude Pausin et Sophie Gaujard, c’est un mélange d’entraide, de complémentarité et d’individualité. « Dès le début, l’idée est d’être un collectif sans trop l’être, s’amuse Marion. Avec Nicolas, on ne souhaitait pas être associé avec les personnes partageant la ferme. »Pour autant, les quatre agriculteurs partagent conseils, matériels et ressources. « Avec Marion, je pense que nous avons une vraie complémentarité puisqu’elle a eu la gentillesse de faire appel à mes produits pour aromatiser ses fromages frais, complète Sophie. Elle m’aide aussi beaucoup au niveau de la commercialisation, même si nous restons très indépendantes au niveau de nos activités. »Dans l’idéal, Marion aurait aimé une organisation davantage collective mais leurs ateliers respectifs, très différents, ne le permettent pas. Après une année semée d’embûches, les quatre membres de la ferme ont trouvé leur place avec l’accompagnement de Gilles. « Je pense qu’on a un bel équilibre. Je serais un peu réticente à ce qu’on le bouleverse », conclut-elle.« Il faut un regard positif et constructif des cédants sur les nouveaux arrivants »Difficultés de transmission des exploitations, coût élevé du foncier, diminution du nombre d’agriculteurs… Dans ce contexte, quels leviers les cédants peuvent-ils actionner pour attirer de potentiels repreneurs ? « La question de l’accessibilité financière se pose, y compris hors cadre familial, car tous les repreneurs potentiels n’ont pas nécessairement accès aux prêts bancaires ou aux aides comme la Dotation aux jeunes agriculteurs (DJA) », explique Vincent Jannot, directeur des programmes à Terres de liens.Les cédants souhaitant préserver leur capital peuvent envisager de dissocier le capital immobilier et foncier du capital d’exploitation afin de faciliter la transmission. L’accès au logement et à la mécanisation peut également constituer un facteur limitant. (© DR) Selon Vincent Jannot, il est aussi essentiel que les cédants acceptent d’accueillir des repreneurs non-issus du milieu agricole. Cette transition ne doit pas être perçue comme une rupture totale, mais plutôt comme une évolution, notamment avec l’introduction de nouvelles activités et une restructuration de leurs fermes.« Souvent les cédants sont encore inscrits dans le milieu agricole avec le voisinage, la Cuma du coin, la Safer, etc. Il faut qu’ils aient un regard positif et constructif sur les nouveaux arrivants, explique le directeur. Par ailleurs, une ouverture et une sensibilité vis-à-vis des questions environnementales et sociales pourrait attirer des personnes sensibles à ces thématiques. »Certaines régions proposent des Contrats emploi formation installation (Cefi) qui permettent aux porteurs de projet souhaitant s’installer en dehors du cadre familial d’effectuer un stage chez un agriculteur pour préparer leur installation. « La ferme du cédant devient un espace test qui permet à la fois de mieux connaître les terres et les voisins et d’assurer une installation plus progressive », confie Vincent Jannot.