Maraîchage
« J’ai bénéficié de la procédure de remise en culture des terres inexploitées »
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Dans le Finistère, Julien Doineau s’est installé sur des terres laissées à l’abandon en s’appuyant sur l’article L.125-1 du code rural.
Julien Doineau exerce le métier de maraîcher à Moëlan-sur-Mer (Finistère). Depuis trois ans, il vend des légumes en vente directe aux particuliers ainsi qu’à quelques restaurants et épiceries. « Je suis agriculteur à titre principal depuis mai dernier sur 3 ha en cours de certification biologique », raconte fièrement le producteur de 36 ans. Auparavant, il était simple cotisant solidaire car il ne disposait pas du foncier suffisant pour s’installer avec « seulement 0,3 hectares en propriété pour faire pousser [ses] légumes ». Après une formation en maraîchage, il avait tenté de s’installer mais sans succès à cause d’un problème de terres, encore une fois. Alors, lorsqu’il a découvert que la commune avait lancé un vaste projet de réhabilitation des friches, il y a vu l’opportunité de pouvoir enfin réaliser son projet. Commune littorale située dans le sud du Finistère, Moëlan-sur-Mer comprend de nombreux espaces inexploités. Au fil du temps, les pêcheurs qui cultivaient quelques parcelles sont allés travailler à la ville, délaissant les terres.
Multiples microparcelles
Les parcelles cadastrales sont de petite taille, leurs propriétaires sont très nombreux... et parfois inconnus, au fil des successions et des divisions parcellaires consécutives. Sans oublier la spéculation foncière qui a soustrait les terrains à l’activité agricole dans l’espoir de les rendre constructibles un jour. En 2014, la commune a sollicité le conseil départemental pour lancer une procédure de mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous-exploitées. Et pour cela, elle s’est appuyée sur un article du code rural qui existe depuis la Seconde Guerre mondiale mais est rarement utilisé : l’article L.125-1 du code rural.
Selon cet article : « Toute personne physique ou morale (société) peut demander l’autorisation d’exploiter une parcelle sous-exploitée depuis au moins trois ans (deux ans en zone de montagne). » Les terrains concernés doivent être susceptibles d’une mise en valeur agricole ou pastorale. Le président du conseil départemental, saisi à la demande du préfet, sollicite alors la commission départementale d’aménagement foncier, qui se prononce sur l’état d’inculture ainsi que sur les possibilités de mise en valeur du fonds. Cette décision fait l’objet d’un affichage en mairie afin de permettre à d’éventuels demandeurs de se faire connaître.
Autorisation d’exploiter valant bail
Lorsque l’état d’inculture a été reconnu, le préfet met en demeure le propriétaire (ou le titulaire du droit d’exploiter) de procéder à la mise en valeur du fonds. Il dispose d’un délai de deux mois pour faire connaître sa réponse. L’absence de réponse vaut renonciation. En revanche, lorsqu’il s’engage, le fonds doit effectivement être mis en valeur dans le délai d’un an. Si le propriétaire renonce, le préfet peut autoriser un agriculteur à remettre en culture. En cas de pluralité de demandeurs, l’autorisation d’exploiter est attribuée en priorité à un agriculteur qui s’installe ou, à défaut, à un exploitant agricole à titre principal.
Le bénéficiaire de l’autorisation jouit alors d’un bail régi de plein droit par le statut du fermage. C’est là toute la particularité de la procédure : l’autorisation vaut bail. Il est toutefois important d’établir un bail avec le propriétaire pour en définir les conditions, notamment le montant du fermage. À défaut d’accord amiable entre les parties, le tribunal paritaire des baux ruraux tranchera. L’attributaire prend le fonds dans l’état où il se trouve et doit le mettre en valeur dans un délai d’un an. À Moëlan-sur-Mer, après déplacement sur les lieux, la commission a défini un périmètre de 120 ha regroupant 1 251 parcelles cadastrales (30 m² pour la plus petite) et 468 comptes de propriété. Les appels à candidature ont été gérés par le groupement des agriculteurs Bio 29 et l’association Terres de liens, la municipalité souhaitant que les terres soient orientées en agriculture bio. Julien a été le premier à en bénéficier.
Une procédure de longue haleine
Même si, sur le papier, la procédure est claire et précise, en pratique il s’agit d’un travail de longue haleine. Après avoir obtenu l’autorisation d’exploiter sur 2,70 ha attenant à sa parcelle, Julien a pris son bâton de pèlerin pour aller voir les propriétaires ou échanger par mail ou courriers, ce qui lui a pris un an et demi (près de 70 personnes à contacter en comptant tous les indivisaires) : « J’ai signé des baux de neuf ans par acte sous seing privé en prenant le temps de rappeler que ce n’est pas la propriété qui était aliénée. »
L’étape suivante a été le défrichement. « Un boulot monstre », reconnaît Julien. Certaines parcelles n’ont pas été exploitées depuis plus de vingt ans. Un broyeur forestier a passé dix jours pour tout nettoyer, avec des arbres de 6 m de haut. L’exploitant a semé une prairie pour restructurer le sol : « Je pars avec une terre reposée mais très appauvrie. » Une remise en état qui a un coût : 1 500 €/ha, sans compter la mise en culture. À Moëlan-sur-Mer, cinq années se sont écoulées entre le lancement de la procédure et la récolte des premiers légumes. C’était une première en Bretagne, qui pourrait être dupliquée ailleurs en France.
Dans le Finistère, la commission départementale de protection des espaces naturels agricoles et forestiers (CDPENAF) a réalisé un inventaire des friches départementales qui fait état de 60 000 ha de terres incultes. Cela concerne beaucoup de communes littorales, avec souvent des micro-parcelles. Sur la presqu'île de Crozon, par exemple, plus de 1 200 ha ont été identifiés, soit un tiers de la surface agricole. L’objectif n’est pas de remettre en cultures toutes ces terres, mais certaines peuvent intéresser des porteurs de projet nécessitant des petites surfaces (maraîchage, plantes aromatiques…). À Moëlan-sur-Mer, outre Julien Doineau, une association d’insertion a bénéficié du dispositif et d’autres agriculteurs devraient en profiter à l’avenir.