C’est en 1997 qu’Alain Crouillebois, aujourd’hui cinquantenaire, décide de reprendre la ferme laitière de son père à Juvigny-Val-d'Andaine, dans l’Orne. Sa passion pour l’élevage aura été plus forte que les perspectives d’une carrière de géomètre qu’il avait déjà amorcée. Pendant les premières années, Alain fait prospérer son exploitation qui passe de 40 à 100 ha. Son troupeau croît de 100 à 300 bovins et la traite est robotisée en 2009.
Tout allait bien pour lui jusqu’à ce jour où il a accepté la mise en service d’un transformateur électrique d’Enedis à 20 mètres du robot de traite et du bâtiment pour ses 85 vaches laitières prim’holstein. C’était le 15 novembre 2011. « EDF souhaitait enterrer la ligne aérienne. J’ai accepté d’autant plus que cela permettait de dégager 25 poteaux de mes parcelles, retrace l’éleveur. Faisant suite à cela, j’ai vu mon troupeau perdre en production laitière et les problèmes s’accumuler : mammites, comportements anormaux, maladies pulmonaires, échecs de traite incessants, vaches de réforme impossibles à engraisser, complications aux vêlages, veaux âgés de 6 mois à 85 kg au lieu de 200 kg et qu’on doit euthanasier, vaches squelettiques qui tombent raides-mortes dans la stabulation. »
Remise en cause
Suite à la mise en place du transformateur, il faut deux ans à l’éleveur, avant qu’il ne fasse réellement le lien avec l’ouvrage. Deux ans durant lesquels ce passionné de génétique prim’holstein remet en cause toutes ses pratiques. Grâce à des recherches sur Internet, Alain fait finalement le lien avec la mise en route de l’ouvrage électrique. Il contacte alors Enedis, puis Serge Provost, l’ancien président de l’Anast (Association nationale des animaux sous tension) qui l’accompagnera jusqu’au bout dans son combat.
Pour tenter de s’en sortir, l’éleveur accepte d’être suivi par le GPSE (Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole). Le GPSE est l’organe officiel de résolution amiable des problèmes d’origine électrique occasionnés en agriculture et auquel siège Enedis. « Lorsque toutes les causes internes à l’élevage ont pu être écartées, j’ai demandé au GPSE qu’on réalise une étude sur le transformateur électrique, rappelle Alain Crouillebois. Ce qu’il n’a jamais accepté de faire, soi-disant faute de moyens financiers. » Après la clôture du GPSE, l’éleveur monte un dossier. Il obtient plusieurs courriers d’experts (Elv’up, centre d’insémination et chambre d’agriculture) qui attestent que les sous-performances de l’élevage ne peuvent venir que de facteurs extérieurs.
Une procédure en cours
C’est le 4 juin 2019 que l’éleveur trouve enfin une solution à son problème. Ce jour-là, il fait déplacer à ses frais le transformateur électrique pour un montant de 70 000 €. Progressivement mais sûrement, l'élevage d'Alain retrouve des performances normales. En tout, l’éleveur chiffre son préjudice financier et moral à plusieurs centaines de milliers d’euros. Il a d’ailleurs entamé une procédure à l’encontre d’Enedis avec une audience fixée en juillet. Alain aura déjà payé un lourd tribut à ce combat. « Les lobbies de l’énergie sont puissants et personne n’ose s’y attaquer, tempête Alain. Leur mode de gestion de ces problèmes est de laisser les éleveurs s’épuiser physiquement, financièrement et psychologiquement sans que jamais ils ne reconnaissent le vrai facteur de trouble. J’ai travaillé 100 heures par semaine pendant huit ans. Toute ma famille en a énormément souffert. Je n’ai pas vu mes enfants grandir et j’ai dû divorcer. Ce combat a même failli me tuer avec une tentative de suicide où j’ai frôlé la mort. Aujourd’hui, mon élevage est sauvé. Mes animaux se portent bien et j'en suis content. Mais j’éprouve comme un sentiment de colère et de haine. L’énergie est d’utilité publique, mais est-ce une raison pour sacrifier des élevages et des éleveurs ? », interroge-t-il.