Sur « le caillou » balayé par les vents et les tempêtes, perdu dans l’océan à une heure de bateau de la pointe bretonne, la ferme des vaches aux quatre vents est bien nommée. La famille Richaud a débarqué sur l’île d’Ouessant (833 habitants) il y a un an et demi avec ses trois enfants et 12 jersiaises. Depuis, ils produisent yaourts, beurre, tomme et autres fromages pour le plus grand bonheur des habitants et des touristes.
Installés dans la Drôme en 2006 sur une exploitation laitière bio avec 180 vaches et un associé, le couple s'est lancé dans cette nouvelle aventure à l’approche de la quarantaine. En mai 2019, il entend l’appel à projets de la mairie pour relancer l’élevage sur l’île afin de lutter contre les friches et proposer des produits locaux. Les terres ne sont plus cultivées. Plus de 90 % des produits alimentaires arrivent du continent alors que c’était l’inverse dans les années 1950.
Lancée comme une boutade, l’idée fait son chemin. « Nous n’avons pas réfléchi ! On a candidaté sans penser que l’on pourrait être retenu. Nous avions envie de revenir à un élevage plus petit et ne faire que de la transformation », raconte Marie.

Les époux déposent leur dossier sans même avoir mis les pieds sur l’île. « Nous sommes venus un week-end l’été suivant et nous sommes tombés sous le charme. Il y avait encore de l’herbe pour les animaux alors que dans la Drôme les pâtures étaient déjà grillées », se souvient Thomas. Leur projet : produire 80 000 litres de lait avec un troupeau de 20 jersiaises. Présélectionnés parmi une trentaine de demandes, ils sont retenus grâce à leur expérience de la transformation et leur motivation.
Partir d’une feuille blanche
C'est un vrai challenge pour toute la famille car il faut bâtir une exploitation laitière de toutes pièces, mais aussi une nouvelle vie sur l’île avec les trois garçons de 14, 12 et 9 ans. « Nous sommes sur un système extensif avec de l’herbe toute l’année, monotraite à partir de mi-septembre et arrêt de la salle de traite durant 2 à 3 mois en hiver », décrivent les éleveurs, très bien accueillis. La commune loue 35 ha de parcelles pour le pâturage et de nombreux propriétaires leur mettent du terrain à disposition.

Thomas, qui était contrôleur laitier dans les alpages de l’Isère avant de s’installer, a déniché la salle de traite mobile qu’il souhaitait chez un constructeur lituanien. « Je voulais une machine avec une assise en dur pour que ni le trayeur ni les animaux ne se retrouvent dans la boue l’hiver, du matériel tout en acier galvanisé pour durer dans le temps et surtout sans trop d’électronique pour pouvoir me dépanner moi-même », explique Thomas. Le tank à lait, le groupe électrogène et la réserve d’eau pour le nettoyage sont transportés derrière le 4X4. Pour abriter les animaux à la mauvaise saison, le couple a investi dans deux cabanes sur roulettes. Elles peuvent aussi suivre les animaux au fil du pâturage. Thomas insémine ses vaches lui-même. « Sur une île, les maîtres-mots, c’est l'autonomie et l’anticipation ! Il faut prévoir d’avoir toutes les pièces en double. Quant au vétérinaire, nous étions déjà habitués dans la Drôme aux conseils à distance. »
Vente lors de la traite
Côté transformation, ils ont commencé en aménageant un camion en laboratoire. Marie y préparait yaourts, beurre et fromages, mais y était vraiment à l’étroit. Depuis avril 2022, ils ont intégré la nouvelle fromagerie (lire l'encadré). La cuve de 800 litres vient tout juste d’être installée et leur permettra plus de souplesse. Les produits sont commercialisés sur le marché qui a lieu tous les samedis matin dans le bourg et le mercredi à la haute saison avec l’afflux des touristes. Les habitants privilégient souvent la traite du soir pour s’approvisionner. La gamme est aussi distribuée dans les supérettes de la commune. « Nous pensions devoir vendre une partie de la production sur le continent. Mais pour l’instant, ce n’est pas nécessaire. Nous n’arrivons même pas à fournir suffisament les magasins. » Plus d'un an et demi après leur arrivée, la famille, bien acclimatée à l'île et à sa météo, ne regrette pas d'avoir pris le large.
