C’est pour produire du whisky que Frédéric Revol est devenu agriculteur. « Un whisky paysan, bio, de terroir », précise-t-il. Drôle d’idée dans une filière où l’on ne se soucie guère de l’origine des grains, encore moins de leur mode de culture. « Comme un paysan boulanger, je voulais remettre la céréale au cœur du produit et la nature au cœur de la démarche », souligne cet agronome de formation.
L’originalité du projet a été un frein pour accéder au foncier. Jusqu’au coup de chance. « Une exploitation de 50 ha en polyculture-élevage cherchait un repreneur en refusant le démembrement, raconte Frédéric. Or les autres candidats voulaient les terres sans le bâti. Ces anciennes écuries voûtées étaient peu adaptées à l’élevage moderne, mais parfaites à transformer en chai ! » Il s’installe en 2009 à Saint-Jean-d’Hérans (Isère) à 900 m d’altitude, se sépare des vaches et lance immédiatement la conversion bio.
« Le changement de système a fait chuter les rendements, relate l’agriculteur. Mon prédécesseur faisait 40 à 45 q/ha en orge conventionnel. Les cinq premières années, je suis descendu jusqu’à 20 -25 q/ha. Depuis, mes rendements remontent. Ils ont atteint 45 q/ha cette année. Pour la seconde fois, ils dépassent la moyenne iséroise qui englobe pourtant bio et conventionnel, plaine et montagne. » L’agronome a fait le pari d’un système autonome et circulaire, sans intrant extérieur. La rotation longue, incluant trois à six années de prairies temporaires, en est la clé.
Circularité
« Cette année, sur 54 ha, j’ai 4 ha d’orge de printemps et d’hiver, 6 ha d’épeautre, 2 ha de seigle, 2 ha de blé rouge de bordeaux, une quarantaine d’hectares d’herbe, énumère-t-il. Je fais du semis direct et du semis sous couvert et ne travaille le sol que pour retourner les prairies. Entre les céréales, j’implante des couverts : des mélanges d’espèces qui vont restituer de l’azote, mais aussi structurer le sol argileux par leur système racinaire. »
Les prairies sont composées de mélanges riches en légumineuses, avec des espèces mellifères pour nourrir les ruches hébergées sur les parcelles. La majorité de l’herbe est fauchée et vendues à des éleveurs, une partie est pâturée (et reçoit sous forme de déjection l’unique fertilisant extérieur), le reste est fauché et restitué au sol.
Les drêches issues de la production de whisky sont compostées, mélangées à du broyat de branches pour l’apport de lignine. « Les intrants servent à compenser les exports : je peux m'en passer car je n’exporte pas mes pailles, j’exporte modérément mes prairies et je restitue au sol une partie de la moisson via les drêches », résume Frédéric Revol.
Le succès de ses whiskys a conduit le domaine des Hautes Glaces à changer d’échelle. En 2017, l’association Graines des Cimes est créée (lire l’encadré). Elle regroupe des exploitations bios du territoire, toutes entre 600 et 1200 m d’altitude. Chacune emblave quelques hectares en céréales destinées à la distillerie. « On est passé d’une ferme à une microfilière, commente Frédéric Revol. En valorisant des céréales secondaires (orge, épeautre…) qui représentent 5 à 10 % de la SAU des exploitations, la distillerie encourage la diversification des rotations. »