« Toutes mes farines sont vendues à l'avance. Parfois, je traverse la France pour trouver une variété de blé, que j'échange contre une autre avec un autre paysan meunier, mais le débouché est assuré », lance Julien de Clédat, au milieu de sa meunerie, avec le bruit incessant du moulin Astrié en fond sonore.
Paysan-meunier bio à Autry-le-Chatel, dans le Loiret, cet ancien cadre de la finance commercialise environ 50 tonnes de farine auprès d'une dizaine de boulangeries. Installé comme agriculteur depuis 2018, il se différencie grâce aux blés anciens. « Nous mangeons un pain blanc standardisé alors que la France est un pays de terroirs, avec des différences entre les régions naturelles. Pourquoi les cépages des vignes seraient-ils variés et pas les blés ? Le pain, c'est comme le vin, le goût change en fonction de la variété et du terroir », souligne Julien. Dans cette quête du goût, pas de course aux rendements. Les variétés anciennes atteignent en moyenne 20 q/ha en bio. La transformation en farine (le prix de vente de la farine est 4 fois plus élevée que celle du grain) et les faibles charges d'intrants assurent la rentabilité. Néanmoins, une bonne dose de pédagogie et d'expérimentation avec les boulangers est nécessaire pour adapter les recettes chaque année, à chaque variété.
Des cultures associées
La réflexion sur la rotation est fondée sur les stocks, le marché et l'agronomie. « Mes cellules sont pleines d'orge, de maïs et de triticale, donc je ne vais pas en produire cette année. Je préfère développer davantage les blés », ajoute le céréalier de 38 ans. Sur les 133 ha, dont 117 ha qu'il a converti en bio en reprenant une ferme voisine, les assolements précédents comportaient une part élevée de luzerne et de trèfle. Après avoir tenté le semis direct dans la luzerne, Julien préfère associer ses céréales à paille avec de la féverole ou du trèfle. Il a par exemple semé 150 kg/ha de féverole et 85 kg/ha de petit épeautre (contre 160 kg/ha en culture seule), fin octobre 2021. Il a récolté 18 q/ha, autant que le petit épeautre seul, avec la légumineuse en plus. « J'ai des ruches, et les abeilles sont très friandes de la féverole », ajoute l'apiculteur.
Du côté des blés, il n'utilise que des variétés anciennes : Rouge de Bordeaux, Rouge du Roc, Poulard, Rouge de Sabando, Touzelle, un mélange « Guichard (1) » de vingt variétés, du Soisson (un blé des années 80)... Cette année, il va semer du « Pays du Gâtinais », un blé aux grands épis, et il recherche de l'Amidonnier et du Camp Rémy. « C'est très long de multiplier des variétés, on y passe des années. Quand on s'échange des semences entre paysans, on sait à quel point elles sont précieuses ! », souligne Julien.
Ces blés, très hauts, 1,4 mètre en moyenne, ont l'avantage d'apporter une bonne quantité de paille, restituée au sol. Le céréalier limite l'azote pour ne pas qu'ils versent. Il apporte du bois raméal fragmenté (il dispose d'une forêt et plante chaque année 2 km de haies), et un peu de fumier équin. Les semis sont assez précoces avec des essais concluants dès septembre si la parcelle fait suite à une luzerne ou un trefle et sinon entre mi-octobre et fin octobre. Les blés sont brossés et trempés dans un mélange d'eau et de vinaigre blanc pour éviter la carie, puis semé à 170 kg/ha. Les variétés anciennes résistent très bien à la sécheresse. L'association avec la féverole et la hauteur des tiges limitent l'enherbement. Julien ne désherbe pas. « J'ai investi 100 000 euros dans un bon trieur, à 20 t/h, avec convoyage du grain par air », explique le céréalier qui compte développer le triage à façon.
Cette multitude de cultures nécessite beaucoup de stockage. Le domaine des Bruyères dispose de 18 cellules de 12 tonnes, et Julien en construit une nouvelle chaque année.
Conscient que son système est dépendant de la meunerie, le trentenaire compte se diversifier avec un atelier huile et pourquoi pas une micro-brasserie. Ces nouveaux débouchés lui permettraient d'introduire davantage de cultures d'été dans sa rotation.
(1) Agriculteur bio qui a créé des mélanges avec l'Inrae et le réseau des Semences paysannes.
La transformation en farine (le prix de vente de la farine est 4 fois plus élevée que celle du grain) et les faibles charges d'intrants assurent la rentabilité.