Quand il s’est installé en 2008 à Fresnes-sur-Marne, en Seine-et-Marne, Olivier Flé produisait les grandes cultures traditionnelles de la région : céréales à paille, colza, maïs, betteraves. En 2016, la récolte catastrophique et les ravageurs (altises) de plus en plus difficiles à contrôler sur colza ont rebattu les cartes, et ont poussé l’agriculteur à se diversifier. La pérennité de l’exploitation était en jeu. « J’ai pris conscience que mon système n’était pas durable, rconte Olivier. Par ailleurs, je voyais du blé roumain de meilleure qualité que le français arriver aux Grands Moulins de Paris, tout près de chez moi. De mon côté, cultiver des céréales exportées à l’autre bout du monde, alors que je travaille à côté d’un vivier de 12 millions de consommateurs, n’avait pas de sens. J’ai cherché quel produit fini je pouvais valoriser. »

Assolement modifié

L’agriculteur a pensé à la production de morilles, à la fabrication de pain, et il est même allé à La Grande épicerie de Paris pour s’inspirer. Finalement, c’est grâce à son caviste que l’idée a germé en novembre 2016. « Je venais acheter du whisky et il m’a proposé une bouteille de Versailles… Il m’a fait croire qu’il s’agissait de la ville française, avant de m’expliquer que Versailles était aussi une commune du Kentucky, aux États-Unis. » Il n’en fallait pas plus à Olivier pour que l’idée de produire des spiritueux franciliens fasse son chemin. Avec deux amis – Antonin, qui travaille dans le web, et Mickaël, gérant d’un bar à cocktails et expert en rhum –, il part se former à la distillation à Cognac. En mars 2017, leur projet est lancé, un alambic Stupfler est commandé auprès d’une entreprise de Bègles (Gironde) et réceptionné en juin 2019 à la ferme.

Dans l’intervalle, l’assolement de l’exploitation est modifié pour diversifier la rotation et s’adapter à cette nouvelle activité de distillation. Si le blé tendre et les betteraves restent les principales cultures, le lin fibre a remplacé le colza. « En zone périurbaine, il y a trop de pigeons pour cultiver du tournesol ou du pois protéagineux, explique Olivier. Je me suis donc lancé en 2019 dans le lin, une culture technique qu’il m’intéressait de tester. » Le blé dur, le sorgho, l’orge de printemps et le seigle complètent l’assolement. Ces trois derniers serviront également à la distillerie.

Un investissement de 300 000 € est nécessaire pour l’achat de l’alambic et l’aménagement de deux anciennes étables de l’exploitation, dont 50 000 € de subventions régionales destinées à l’amélioration du bâti agricole et la fabrication de produits locaux. « Pour l’achat des flacons, des bouchons, de l’étiqueteuse et pour les frais de communication, nous avons fait un crowdfunding de 22 000 € », précise l’agriculteur. Une opération qui a également permis de se faire connaître auprès de futurs clients. Les premières distillations s’enchaînent à partir de juin 2019 : gin (ananas et gingembre), whisky mis en barrique puis vieilli trois ans, rhum et eau-de-vie (lire l’encadré).

Petits fruits

Pour accompagner cette diversification par la production de petits fruits, baies de genièvre, sureau et autres pour le gin, Olivier convertit une parcelle de faible potentiel en agroforesterie avec l’association Agrof’île-Agroforesterie et sols vivants en Île-de-France. « Le sol étant très séchant, les arbres ont été plantés sur un axe est-ouest, au lieu du nord-sud habituel, afin de procurer un maximum d’ombrage à la culture et limiter l’échaudage des céréales de plus en plus fréquent », explique-t-il.

En mars 2019, près de 4 000 arbres et arbustes ont été plantés sur une parcelle de 11 ha (voir l’infographie), sur des lignes séparées de 40 m. « Je viens de réaliser la première taille et j’ai constaté que le taux de reprise était très satisfaisant à 90 % », relate Olivier. En 2022 ou 2023, l’agriculteur projette de planter des vignes sur 3 ha, en agroforesterie également, afin de distiller les petits fruits mais aussi le vin en eau-de-vie. De quoi enrichir encore la toute récente gamme de spiritueux franciliens.

F. Mélix