«L’agriculture sera la priorité nationale », déclarait le président Poutine en 2000. Pari gagné vingt ans plus tard. Historiquement importateur net pour presque toutes les productions, le pays exportait, en 2017, pour 20,7 milliards de dollars de produits alimentaires et de matières premières agricoles (1). Avec 20 % de l’export mondial de blé, la Russie se positionne en leader et devance les États-Unis et l’Union euro­péenne. La production a presque doublé au cours des deux dernières décennies. Mais l’arroseur va-t-il être lui-même arrosé ?

+ 20 % sur le prix du pain

Après avoir tout fait pour obtenir ce leadership, le pays traverse une période de tempête. Alors que Vladimir Poutine se vantait d’une récolte record en 2020, les Russes ont dû débourser 20 % de plus qu’en 2019 pour le pain et 65 % de plus pour le sucre. Les prix des denrées de base sont une question politiquement très sensible. Fin décembre 2020, le président a rapidement réagi en réprimandant ses ministres pour n’avoir pas su arrêter la hausse des prix, alors même qu’il se vantait des énormes exportations de céréales. Un événement qui montre qu’il est sans doute déstabilisé.

Le gouvernement a réagi vite et de façon brutale, en imposant une taxe sur le blé à l’export depuis la mi-février et jusqu’à la fin juin. Cette taxe a démarré à 25 €/t et a doublé le 1er mars, rendant ainsi le prix sur le marché international quasiment inaccessible. Un contingent d’exportation de céréales doit aussi être décrété. Sur les marchés locaux, des contrôles de prix sont établis pour d’autres produits, comme les pâtes, les œufs et les pommes de terre. De telles mesures ont déjà été appliquées dans un passé récent. Une taxe à l’exportation pour lutter contre la hausse des coûts alimentaires avait été utilisée en 2007. Celle de l’interdiction d’exportation, en 2010.

Prise de risque

Hormis l’Argentine, qui en a fait un concept, peu d’exportateurs osent suivre la voie du protectionnisme, car les résultats peuvent être contreproductifs. La Russie pourrait perdre sa crédibilité de fournisseur fiable des marchés. « Les importateurs se tournent déjà vers d’autres fournisseurs, tels que l’Australie, l’Europe et même l’Inde », selon Evgeniya Dudinova, membre du conseil de direction de l’International Association of Operative Millers Eurasia. Et les agriculteurs russes sont en colère. « Nous nous sentons trahis, déclare Azaria Smolov, céréalier sur les terres noires de Lipetsk. Avec de telles mesures, notre gouvernement contribue à protéger nos concurrents européens. »

Selon Andreï Sizov Jr., directeur général du consultant SovEcon à Moscou, « ces mesures coûteront aux producteurs de blé jusqu’à 1,5 milliard d’euros de pertes potentielles de recettes, et plus si les droits d’exportation sont étendus à d’autres denrées alimentaires ».

Christophe Dequidt

(1) Service fédéral des douanes russes.