« La population urbaine va croissant et c’est tout le système alimentaire qui trinque. Les lieux de production de l’alimentation sont aujourd’hui déconnectés de ceux de la consommation : on produit des matières premières alimentaires à la campagne pour nourrir les villes.
La fin du produire sans retour
Cette séparation entre les lieux de production et de consommation se joue à l’échelle de la planète. On produit du soja au brésil pour alimenter du bétail en Chine. Inévitablement, cela génère un impact environnemental négatif. Dans le même temps, l’activité agricole est soumise à une dynamique de rationalisation continue : elle est contrainte à toujours plus de productivité afin de limiter au maximum le coût de l’alimentation. Car contenir ce poste de dépenses favorise le développement économique : plus le budget alimentaire est serré, plus d’autres marchés sont amenés à se développer.
L’industrie et le secteur tertiaire ont un intérêt à ce que l’agriculture pèse peu dans les dépenses des consommateurs. Depuis le début des années 1950, la part des dépenses engagées par les Occidentaux pour s’alimenter a connu une forte chute. En France, ce budget représente 14 % des dépenses courantes. Pour atteindre ce résultat, il a fallu obtenir des gains de productivité considérables sur toute la chaîne alimentaire et en particulier du côté des agriculteurs. La société a exigé de ces derniers qu’ils soient toujours plus productifs pour fournir une alimentation au coût le plus faible possible à une population urbaine en augmentation constante.
Partager les enjeux… et les coûts
Si l’on regarde tout le travail accompli pour obtenir notre alimentation, on se rend rapidement compte qu’elle n’est pas du tout payée à sa juste valeur.
Ce système qui recherche une alimentation toujours moins chère est à bout de souffle car il ne permet pas aux paysans de vivre et il alimente la dynamique du dérèglement climatique.
Face à cela, une partie des solutions se trouvent sur les territoires qui n’ont plus d’autres choix que de refonder leur résilience alimentaire à partir d’une agriculture nourricière et régénératrice. Les circuits alimentaires courts ne pourront pas à eux seuls nourrir toute la population.
Il faut aujourd’hui raisonner à l’échelon européen et faire en sorte de réduire les circuits à l’échelle d’une agglomération, d’un département, ou d’une région. Mais cette transition alimentaire autour de l’agriculture régénératrice ne peut pas être décrétée. Il va falloir aider et accompagner les exploitants. Les industriels, les distributeurs, les consommateurs et l’État doivent partager ces enjeux et les coûts de la transition alimentaire. Tout mettre sur le dos des agriculteurs et exiger une transition à partir d’un empilement de contraintes et de règlements ne marchera pas. »
Propos recueillis par Rosanne Aries