Quand on l’interroge sur sa réputation de « tyran des prix », Michel-Edouard Leclerc prend son regard le plus doux et assure à qui veut l’entendre : « Je ne mérite pas un tel focus sur moi ! » Mais voilà, les paysans ont pris l’habitude de taper sur la première enseigne de France. Il faut dire que sa guerre pour les prix bas passe mal dans les filières en souffrance. « Tout le monde est accro aux promos », se défend « Mel », un brin provoquant. C’est là son point fort : rappeler des vérités difficiles à entendre, moucher ses adversaires en les mettant face à leurs contradictions, flirter avec la mauvaise foi pour mettre le doigt là où ça fait mal. En particulier pour justifier la dureté des négociations commerciales : « Je veux bien payer plus cher les produits agricoles français, mais je ne vais pas filer à Monsieur Nestlé, Monsieur Unilever et Monsieur Procter des hausses parce qu’ils vont se cacher derrière les agriculteurs ! Mon job, c’est de faire le tri. » Quand le gouvernement projette une hausse du Seuil de revente à perte (SRP), il se lâche : « Comment le produit de marges obligées sur du Coca-Cola ou de l’eau minérale va ruisseler jusque chez mes copains producteurs de lait et de porcs dans le Finistère ? » Il l’admet lui-même, « il ne faut pas bâtir un système sur la confiance. Les entreprises ne sont pas vertueuses par nature. »
Pas question pour autant de laisser passer la révolution culturelle à l’œuvre dans son secteur. Il va jusqu’à promettre à demi-mot de devenir « l’enseigne la mieux-disante sur le plan de la nutrition et du développement durable », à la barbe de Carrefour. Mais sans rien lâcher sur les étiquettes. « J’entends bien ne pas répercuter aux consommateurs les hausses accordées aux producteurs ! » Face à ses détracteurs comme aux médias, il a compris qu’il fallait prendre le taureau par les cornes pour rester maître de l’arène. Alors il écume les plateaux télé et use à loisir de son blog. Et des réseaux sociaux. Pour fêter ses 50 000 abonnés sur Facebook, il publie la photo d’un mot de remerciement écrit à la main, signé « Miche-Edouard, l’épicier breton ». Sous la feuille posée négligemment sur un coin de bureau, on devine le logo de l’enseigne, son smartphone et… un numéro de La France agricole. La communication est un métier.