Tout laisse à penser que les producteurs de lait ont tiré profit des négociations commerciales, tant les accords entre transformateurs et distributeurs ont fait grand bruit depuis décembre 2018. La réalité est toutefois moins évidente. D’abord, parce que ces signatures ne concernent qu’une partie des 60 % de la collecte française destinés aux produits de grande consommation sur le marché intérieur. Il s’agit principalement des marques nationales et peu des marques de distributeurs. Ces dernières représentent pourtant des volumes importants dans certaines familles de produits phares, comme l’emmental et les yaourts.
Mais surtout, la transparence est loin d’être de mise, en particulier sur ce qui fait le nerf de la guerre : le prix du lait. Tantôt un prix de base est dévoilé, tantôt un prix toutes primes incluses, et parfois même… pas de prix du tout. C’est le cas des accords entre Envergure – la centrale d’achat de Carrefour et Système U – et Lactalis, Sodiaal, Yoplait et Laïta. De la même manière, E. Leclerc s’est bien gardé d’évoquer la valorisation du lait lors de ses signatures avec Danone, puis Lactalis. Un comble, d’annoncer en grande pompe un accord tarifaire sans dévoiler le prix du lait ! Par ailleurs, les tarifs communiqués oscillent entre 347 et 375 €/1 000 l, loin du coût de production de 396 €/ 1 000 l, calculé par l’Institut de l’élevage et reconnu par l’interprofession laitière (Cniel).
Car des résistances viennent également du maillon intermédiaire. En témoignent les accords tardifs entre le distributeur Lidl et Savencia, le 18 avril, puis Danone, le 30 avril, deux mois après la fin des négociations commerciales sur les marques nationales. Le recours au médiateur des relations commerciales agricoles a été nécessaire dans les deux cas. Quand bien même, Savencia n’a pas souhaité communiquer sur les volumes concernés, tandis que l’accord avec Danone reste pour le moins ambigu sur les modalités tarifaires, avançant un « prix garanti aux producteurs de 371 €/1 000 l, quelles que soient les primes ».
Reste qu’il est impossible de mesurer l’impact réel de cette série de signatures sur le prix du lait payé à la ferme. Aucune mention n’en fait état dans les factures de lait, rien n’est tracé. De quoi entretenir la défiance des éleveurs vis-à-vis de l’aval de la filière, et laisser le sentiment que ces accords s’apparentent davantage à une opération de communication et de rachat de bonne conscience, qu’à une avancée tangible sur le retour de la valeur dans les exploitations.
par Vincent Guyot